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fluctuations de cette âme assez complexe. Dans ses relations avec Napoléon, dans sa rivalité avec lui avant l'Empire, puis dans ses rapports de maréchal à empereur, dans sa situation de prince royal de Suède, dans sa diplomatie à l'égard de son peuple, des Alliés et de la France, Bernadotte apparaît comme un homme plein d'arrièrepensées, désireux, avant tout, de jouer un rôle proportionné à son ambition, ne reculant pas devant des procédés mesquins ou indignes, capable de sentiments assez bas et soucieux uniquement de son intérêt personnel. Par ailleurs, on ne saurait lui dénier une intelligence très souple, des dons militaires de premier ordre, un sincère amour de la République qui ne l'empêcha pas d'être roi, un sincère amour de la France qui ne le détourna pas de la combattre. Il est difficile d'être entièrement juste pour lui, parce que trop de vilenies et de roueries viennent oblitérer, à nos yeux, les actes honorables de sa vie. En somme, il fut un exemplaire nullement médiocre de ce type singulier d'aventurier militaire et démocrate dont Napoléon fut l'éclatant modèle. S'il n'atteignit pas la prodigieuse fortune de celui qu'il regardait volontiers comme son rival, il fut un bon roi dont un peuple eut à se louer. Il est bien possible que si, selon son désir passionné, il eût été élevé au trône de France à la place des Bourbons, ce compatriote de Henri IV, adroit, souple et politique se fût trouvé, plus que ceux-ci, capable d'acheminer la France vers ses nouvelles destinées.

Le gros volume que M. Henry BERTON a consacré à l'Évolution constitutionnelle du second Empire' constitue un répertoire de faits et de textes qui pourra rendre d'utiles services. L'auteur a pris le droit constitutionnel « pour centre et pour noyau de l'œuvre » et tenté de ramener à lui tous les faits de l'histoire politique. « Il s'agit de demander à celui-là les principes directeurs, à celle-ci le sens de ces principes. Il s'agit d'étudier l'histoire politique en fonction du droit constitutionnel. » Les textes des constitutions et des sénatusconsultes lui ont servi à établir les principes d'action du second Empire; l'auteur s'est appliqué à les juger, à fixer les doctrines dont ils dérivent et où ils mènent, et en a étudié l'application dans les textes constitutionnels qui en portent la marque. En même temps, il s'est efforcé de grouper autour d'eux tous les faits de l'histoire politique qui en découlent ou ont réagi sur eux et de mesurer l'influence qu'ils ont eue sur les événements et celle des événements sur

1. Henry Berton, l'Évolution constitutionnelle du second Empire (doctrines, textes, histoire). Paris, Alcan, 1900, 1 vol. in-8° de 770 p.

leur transformation. Une telle tentative était ardue. Il serait téméraire d'affirmer que M. Berton ait réussi d'une manière complète dans une entreprise aussi considérable et qui, à l'heure actuelle, est peutêtre encore impossible à mener à bien. Sachons-lui gré dans tous les cas d'avoir exposé nettement l'histoire constitutionnelle du second Empire, d'abord dans sa période autoritaire, puis dans celle de transition, enfin, dans les mois très brefs de l'Empire libéral. Il a groupé et commenté de nombreux textes qu'il a recherchés avec quelque raison, beaucoup moins dans les assemblées dont le rôle en matière constitutionnelle fut fort limité, que dans les documents directement émanés de l'empereur ou de l'opinion publique, seule puissance qui ait partagé le pouvoir avec lui.

Sous la forme d'une œuvre d'imagination, l'ouvrage de M. A. DELORME est en réalité une étude historique'. C'est la reconstitution de l'état d'âme d'un sergent de zouaves et son histoire pendant les campagnes d'Algérie et d'Italie. Cet ouvrage présente les mêmes qualités que les précédents du même auteur (Lettres d'un zouave, de Constantine à Sébastopol, 1853-1855; Journal d'un sous-officier, 1870): reconstitution exacte d'après les renseignements fournis par les sources les plus diverses, - en même temps que vivante et pittoresque, de la vie du régiment, des pays théâtres des opérations, des engagements. Le présent volume est consacré aux opérations dans la petite et la grande Kabylie en 1856-4857 et à la campagne d'Italie jusqu'à la bataille de Palestro. L'ouvrage de M. Delorme est utile pour faire connaître l'esprit de cette armée du second Empire, qui s'illustra sur des théâtres si divers.

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Il est difficile à un profane d'apprécier, en connaissance de cause, le livre où le général BONNAL a étudié Sadowa1. Ce n'est pas, en effet, une description de la campagne ou de la bataille qu'il a voulu nous donner, mais seulement une étude de stratégie et de tactique générales qu'il a entreprise. Il l'a menée avec beaucoup de précision et de clarté, et le lecteur voit avec une facilité assez grande les moments successifs de la bataille. Le général Bonnal n'a pas voulu seulement faire une œuvre de conteur, mais aussi de critique, et il soumet à un examen sévère les plans et les manœuvres de l'étatmajor prussien. La victoire ne lui en parait pas une justification suf

1. Amédée Delorme, Sous la Chéchia. Carnet d'un zouave. De la Kabylie à Palestro (1856-1859). Paris, Berger-Levrault, 1901, 1 vol. in-8°, 337 pages. 2. Général H. Bonnal, Sadowa. Étude de stratégie et de tactique générale. Paris, Chapelot, 1901, 1 vol. in-8° de 193 p.

fisante. L'état-major prussien était loin, en 1866, d'avoir une juste conception de la guerre napoléonienne. » Mais il sut tirer parti, jusqu'en 1870, de l'expérience acquise et évita de retomber dans ses fautes. En somme, la bataille de Sadowa a été gagnée par suite de l'heureux effet d'une imprudence commise par l'armée prussienne. Une telle conclusion parait de nature à rendre singulièrement sceptique sur la valeur de la stratégie, et l'on se sent incliner vers les conceptions que Tolstoi énonce dans son célèbre roman de la Guerre et la paix. Le général Bonnal explique d'une manière assez lucide comment il serait fort peu judicieux de se laisser aller à cette impression. Une bataille ne se gagne forcément ni suivant un plan préconçu, ni uniquement par la valeur des troupes. L'intelligence du général semble résider avant tout, autant que dans l'imagination d'un plan de bataille, dans le talent de disposer ses troupes de telle sorte que leur concentration puisse se faire aisément quel que soit le plan adopté par l'armée ennemie. Iéna et Auerstædt, tout comme Sadowa, ont été des victoires causées par une erreur initiale. Cela ne veut pas dire que le général allemand pas plus que Napoléon aient été indignes de leur tâche, mais seulement que le génie militaire doit consister autant dans une certaine faculté d'imagination el d'adaptation aux circonstances que dans une faculté stratégique, capable de s'égarer comme tout calcul humain. La valeur de l'instrument militaire, de l'armée, demeure un facteur prépondérant de la victoire.

Il y a plusieurs années déjà que j'ai eu le plaisir de signaler ici même la haute valeur des volumes où M. Pierre LEHAUTCOURT avait raconté les campagnes de la défense nationale. Il faut le remercier très sincèrement de compléter son œuvre et, après en avoir écrit la deuxième partie, d'en commencer la première. Son nouveau volume' est le premier d'une série où il se propose de raconter la guerre contre les armées impériales et qui, jointe à ses publications antérieures, constituera une histoire complète de la guerre de 1870-1871. Sans doute, logiquement et chronologiquement, cette première partie aurait dû être écrite avant l'autre. La modestie de l'auteur qui préférait primitivement se restreindre est son excuse. L'œuvre n'y perdra rien. Une nouvelle édition des guerres de la défense nationale permettra à M. Lehautcourt de refondre le tout en un ensemble harmonieux qui constituera, sans contredit, la meilleure histoire que nous ayons de ce qui demeurera longtemps pour nous « la guerre »

1. Pierre Lehautcourt, Histoire de la guerre de 1870-1871. T. I : les Origines. Paris et Nancy, Berger-Levrault, 1901, 1 vol. in-8° de vii-414 p.

par excellence. Il faut redire, car la comparaison s'impose, à quel point cette œuvre est supérieure comme ordonnance, comme ton, comme convenance, comme sens historique à celle de M. A. Duquet, anecdotique, passionnée, « journalistique, » et où vibrent une foule de sentiments incompatibles avec le sang-froid de l'historien. Sans apporter de documents inédits, sans même peut-être avoir une connaissance absolument approfondie de tous ceux qui ont paru relativement à son sujet, M. Lehautcourt a bien autrement mérité de la science historique, sinon de la littérature de combat. Son dernier volume est d'ailleurs en progrès comme art de composition et d'exposition sur les précédents, et fait attendre les suivants avec impatience.

Sous le titre de Gens de Bretagne', M. Olivier DE GOURCUFF a publié un volume de mélanges littéraires et historiques que M. A. de la Borderie a présenté dans une préface. Il y a un peu de tout dans cet ouvrage où sont réunis et distribués assez confusément quantité de morceaux parus dans diverses revues. Les premières divisions intitulées: Sur le seuil, les Saints et les Héros, Trois pages d'histoire, n'ont pas grand'chose qui touche à l'histoire contemporaine de la Bretagne. Parmi les études consacrées aux Poètes et aux Prosateurs plusieurs ont trait à des écrivains de notre siècle. On ne peut dire que M. de Gourcuff nous ait révélé de génie inconnu, ni qu'il ait ajouté grand'chose à la connaissance que nous avons des Bretons illustres tels que Brizeux ou Chateaubriand. On n'en lira pas moins avec intérêt et estime des pages qui ne manquent ni d'érudition ni de talent et pleines de l'amour le plus sincère pour la vieille Armorique et son génie.

M. ZEVORT poursuit son Histoire de la troisième république et nous donne, avec son quatrième volume, celle de la présidence de Carnot. Nous avons déjà eu l'occasion de dire les mérites et aussi les lacunes de cette œuvre estimable. Elle est écrite avec une connaissance très suffisante des documents parlementaires, avec clarté, par un esprit modéré et sincèrement républicain, soucieux de donner à un ouvrage où sont touchées les questions les plus brûlantes une tenue, sinon d'indifférence politique, au moins de sérénité historique tout à fait correcte. Mais, d'autre part, ce n'est qu'une his

1. Olivier de Gourcuff, Gens de Bretagne. Histoire et littérature, prose et poésie. Paris, Lechevalier, et Vannes, Lafolye, 1900, 1 vol. in-8° de xv-364 p. 2. E. Zevort, Histoire de la troisième République. La présidence de Carnot. Paris, Alcan, 1901, 1 vol. in-8° de 396 p.

toire parlementaire et gouvernementale, non une histoire de la république et de la France elle-même. Après l'avoir lue, on ne connait presque rien du grand mouvement intellectuel et social de la France moderne. Ce sont les discussions à la Chambre et au Sénat, les changements de ministères, les plus infimes fantoches parfois de la vie parlementaire, qui concentrent l'attention de l'historien. Il est permis de regretter une fois de plus que M. Zevort n'ait pas conçu son œuvre sur un plan plus large. Assurément, il est un peu tôt encore pour apprécier des événements si rapprochés. L'entreprise valait néanmoins la peine d'être tentée. Il n'est que juste d'ajouter que ce quatrième volume est peut-être un des plus intéressants de la série. M. Zevort a noté, avec clairvoyance et précision, nombre des traits caractéristiques des personnages dont il nous montre les évolutions. Il a dessiné avec fermeté et d'un crayon sûr la figure de Carnot en particulier.

Sous le titre de la Politique de la France en Afrique' M. André LEBON a réuni une série d'études qui parurent l'an dernier dans la Revue des Deux-Mondes. Bien qu'il se défende d'avoir voulu écrire des mémoires ou des œuvres de polémique, mais qu'il se soit seulement proposé d'apporter « une première contribution à la fixation de la vérité politique des dernières années, » l'œuvre de M. Lebon a, comme il est naturel, un caractère assez personnel. On se souvient peut-être qu'il détint, de 1896 à 1898, le portefeuille des colonies dans le ministère Méline. On ne saurait s'étonner, qu'à ce titre, l'exposé qu'il donne de la politique coloniale française en Afrique ait quelquefois le caractère d'une apologie des actes de son ministère et d'une critique plus ou moins directe des actes de ses prédécesseurs et de ses successeurs. Cela n'est pas pour diminuer l'intérêt de son travail, qui regagne comme document politique l'intérêt qu'il peut perdre comme œuvre historique. Il ne saurait être question ni de discuter pied à pied l'exposé que donne M. Lebon de la mission Marchand, des affaires de la boucle du Niger et de la pacification de Madagascar. Aussi bien, un grand nombre de documents nécessaires pour fixer l'histoire définitive de ces événements nous font encore défaut. On lira avec intérêt ceux que fournit M. Lebon, sans perdre de vue qu'ils ne suffisent point pour constituer un récit objectif. Un intérêt particulier s'attache peut-être à l'histoire de la conquête de

1. André Lebon, la Politique de la France en Afrique, 1896-1898. Mission Marchand, Niger, Madagascar. Paris, Plon et Nourrit, 1901, 1 vol. in-8° de XI-322 p.

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