網頁圖片
PDF
ePub 版

de faits avant de risquer une hypothèse. Il dresse par exemple la liste des parfums et plantes odorantes et montre que Grecs ou Latins et Hébreux leur ont donné les mêmes noms :

[blocks in formation]

Pour l'un de ces noms, Hérodote dit que les Grecs l'ont emprunte aux Pheniciens, τὰ ἡμεῖς ἀπὸ Φοινίκων μαθόντες κιννάμωμον καλέομεν'. Bochart en conclut avec raison que les autres vocables ont été pareillement empruntés par les Grecs aux Phéniciens.

Bochart nous fournit ainsi le moyen de corriger les écarts de sa fantaisie. Sans le vouloir, il pose la loi de toute recherche étymologique il ne faut jamais étudier un nom isolé. La première règle en toponymie doit être la règle des systèmes. J'entends par là qu'il faut commencer par dresser des listes, des systèmes de noms, et étudier toujours un ensemble de faits et non un fait isolé. Cette règle s'impose d'elle-même. Un fait isolé n'est point matière à science. Un nom propre isolé n'est point matière à étymologie scientifique. Vraie pour toutes les études d'onomastique, cette règle doit être suivie plus scrupuleusement quand il s'agit d'étymologies sémitiques. Dans toutes les langues sémitiques, en effet, le rôle des voyelles est efface; la charpente du mot est faite de consonnes et le plus souvent d'une triade de consonnes; autrement dit, les racines sémitiques sont le plus souvent trilitères. Toutes les combinaisons de trois consonnes, d'ailleurs, ou presque toutes, se trouvent dans le vocabulaire des racines sémitiques. Il sera donc possible de trouver une étymologie sémitique à presque tous les noms de lieux grecs, romains ou fran

1. Hérodote, III, 171.

çais PaRiS deviendra la Ville du Cavalier parce que PaRaS veut dire Cavalier en hébreu.

Ce sont des étymologies de cette sorte ou de pires encore qui, malgré toute sa valeur, ont discrédité le travail de Bochart : « Lindus, phoenicio nomine Limda, quasi mucro aut aculeus dista est, quia in insulae sita, » nous dit-il en parlant de la ville rhodienne de Lindos1. « A dracone immani mons phoenicio sermone vocatus est Peli-naas, id est stupendi serpentis, » dit-il en parlant du mont chiote Pelinas2. On peut malheureusement ouvrir son livre presque au hasard pour tomber sur de pareils exemples. Movers, à son tour, ne s'est pas assez défié de trouvailles aussi fantaisistes. Hecatée et Hérodien, cités par Étienne de Byzance, lui fournissaient une ville egyptienne, colonie des Pheniciens, Λίηβρις, πόλις Φοινίκων 3 : si le nom est phénicien, dit Movers, il peut s'expliquer par (statio) ad Hebraeos, et n'être qu'un équivalent des 'lovèzíwv atpaτómedov, Vicus Judaeorum, Castra Judaeorum, dont nous parlent Josèphe et la Notitia Dignitatum'. Pareillement, Aλ56atov se traduira par versus Libyes. Mieux encore, Byrsa, la citadelle de Carthage, viendra de Basra.

Pour nous garder un peu des imaginations de Bochart ou de Movers, il ne faut donc étudier que des systèmes de noms. Mais ces systèmes peuvent être de différentes sortes, et l'on peut en imaginer deux ou trois sortes au moins.

En premier lieu, la Méditerranée actuelle ou ancienne nous offre des noms de lieux qui présentent entre eux une grande similitude de structure, d'allure et de consonance. Il suffit de citer Maratha, par exemple, comme type de ces noms qui se rencontrent de Syrie en Espagne et de Thrace en Libye, et qui, pourtant, semblent n'avoir aucun sens, aucune étymologie valable ni en grec ni en latin. La Phénicie avait sa ville de Μάραθος οι Μαράθους, son fleuve Μαραθίας; la Syrie, ses pirates Marato cupreni; l'Arabie a son mont Mapet0a; l'Ionie, son port de

1. P. 368.

2. P. 384.

3. Étienne de Byzance, s. v.

4. Movers, III, p. 186.

5. Movers, III, p. 333. 6. Movers, II, p. 139.

Μαραθήσιον et son ile Μαράθουσσα; la Crète, sa ville Μαράθουσσα; la mer Ionienne, son île Mapάon; la Laconie, son fleuve Mapά0wv; l'Attique, son port de Mapátov; l'Espagne, sa plaine de MapaOwv, etc. Autres exemples: d'Espagne en Carie, îles, villes et promontoires s'appellent Σάμος, Σάμη, Σαμικόν, Σαμία, Σαμοθράκη; de même Záxuvos est le nom de vingt îles ou ports. En dressant la liste de ces noms similaires, on formera une première espèce de système, que l'on peut appeler le système verbal, uniquement fondé sur la ressemblance des vocables.

A défaut de similitude, les noms peuvent être unis par des liens de voisinage. Dans telle région donnée, dans tel golfe, dans telle île ou dans tel port, il peut se faire que tous les noms de lieux semblent se rattacher les uns aux autres. Si, par exemple, on dresse la liste des noms insulaires de l'Archipel hellénique, on s'aperçoit bientôt qu'il faut les ranger en deux colonnes. Chaque île, en effet, a plusieurs noms. Les uns, authentiquement grecs, se comprennent et s'expliquent sans peine par le vocabulaire grec, telles sont l'île aux Cailles, 'Optuyiz; l'île de l'Écume, "Ayvn; la Belle-Ile, Kaλion, etc. Les autres noms, au contraire, semblent inintelligibles, Δήλος, Πάρος, Κάσος, Νάξος, etc. En réunissant, d'une part, tous ces noms grecs, et, d'autre part, tous ces noms étrangers, on aura un double système local ou géographique.

Enfin, les noms peuvent avoir une sorte de parenté historique ou légendaire. La légende béotienne unit les noms de Kapos, Eйpórη, Trλépoca, Oñéat, etc., dans une union indissoluble. L'histoire mégarienne unit de même Μέγαρα, Νίσαια, Νίσος, ̓Αβρώτη, Mivoa, etc. On trouverait mille autres exemples de pareils systèmes historiques ou légendaires, soit que l'histoire du commerce établisse des liens entre Tapassos et Tepén, productrices de cuivre, entre ipvos et 'Ionavia, productrices d'or ou d'argent; soit que la legende coloniale mette en rapports Μέγαρα et Χαλκηδων; soit enfin que des cultes communs ou les mythes d'Héraklès et de Thésée nous ramènent à ces amphictyonies primitives, à ces groupes de sept ports dispersés sur le pourtour du golfe Saronique et dont les Grecs savaient toujours le nombre, mais semblaient avoir oublié les noms.

En réalité, ces différentes sortes de systèmes toponymiques sont inseparables les unes des autres. Σίφνος et Ἰσπανία pour

un

raient aussi bien former, nous le verrons par la suite, système verbal qu'un système historique. Ces deux dernières sortes de systèmes surtout se pénètrent constamment, et ce sont, à vrai dire, les plus fructueux et les plus légitimes. Car un système local est toujours un peu arbitraire: où s'arrête une région? pourquoi prendre tel golfe dans une mer et telle mer dans la Méditerranée? Les systèmes locaux prêtent à trop de tentations ils ne doivent servir que de vérificateurs. Des deux autres, c'est le système verbal qui doit servir de base et de règle. Le système historique arrivera comme couronnement. Nous avons déjà vu comment le système verbal des 'Actumáλata nous conduit à la légende d'Astypalée, fille de Phoinix. Le système verbal est, en fin de compte, le plus facile et le plus sûr. C'est lui qui, jusqu'ici, a fourni les matériaux les plus utiles pour l'étude de la toponymie préhellénique. C'est le système verbal, en effet, qu'Olshausen, dès 1853, avait pris comme fondement de ses Études sur les noms de lieux phéniciens en dehors du domaine sémitique. Il avait groupé les noms de la forme Αδραμυττις, Ατραμύττειον, Adrumetum, Χατραμῶται et Ατρα μωτῖται, les Ατάβυρις et Αταβύριον, les Ἰορδάνης, Ἰάρδανος et Κόρδανος, etc., et montré comment ces noms, qui n'ont un sens que par l'étymologie sémitique, sont pourtant répandus de l'Arabie au Bosphore et de la Lycie aux côtes Barbaresques. Ces études d'Olshausen peuvent toujours être citées comme les modèles du genre; les résultats en sont convaincants1.

Voilà donc une première précaution contre les entraînements de l'étymologie toute hypothèse étymologique qui ne s'appuie que sur un nom isolé, qui ne s'applique pas à un système, doit être résolument écartée. Mais la formation des systèmes n'est que le premier pas. Une fois les systèmes dressés, isolés et bien reconnus, il faut encore les pénétrer et en trouver l'explication. Celle-ci peut être de plusieurs sortes. D'un peuple à l'autre, en effet, les noms de lieux peuvent se transmettre de plusieurs façons, et l'on pourrait, semble-t-il, imaginer vingt sortes de prêts et d'emprunts en ces matières. Mais ces variétés de transports, si nombreuses en apparence, se ramènent en fin de compte à trois principales.

1. Rhein. Mus., VIII, p. 320.

Première manière transcription. Le peuple emprunteur accepte l'onomastique des étrangers telle qu'elle se présente à lui, tout entière, idées et vocables, du moins telle qu'il la perçoit. Il en calque les noms et les reproduit de son mieux. Il ne fait subir aux consonnes et aux voyelles que des modifications légères pour les adapter seulement aux nécessités ou aux habitudes de son oreille et de son gosier; bref, il transcrit les noms, en quelque sorte, dans son ton particulier; mais il n'en altère aucune des valeurs essentielles. Consonnes et voyelles, les noms d'Espagne, d'Italie, de Syrie, d'Égypte, de Chypre, de Rhodes, de Péloponèse, de Sicile, de Baléares, etc..., se sont exactement transmis de thalassocraties en thalassocraties depuis les origines helléniques jusqu'à nos jours.

Seconde manière : traduction. Le peuple emprunteur rejette les formes extérieures de l'onomastique étrangère; mais il garde les idées : il traduit les noms du voisin en sa propre langue. A l'entrée du détroit de Gibraltar, toutes les marines actuelles connaissent le Mont des Singes; mais chacune lui donne un vocable différent, anglais, français, espagnol, arabe, etc. On trouverait pareillement des caps de la Roche-Noire, que les Turcs appellent Kara-Bouroun, les Francs et les Italiens Pietra-Nera ou la Pierre-Noire et les Grecs Mavrolithari.

Troisième manière entre ces deux extrêmes, transcription ou traduction, souvent le peuple prend un moyen terme. Il ne sait pas traduire le nom qu'il emprunte. Il ne se contente pas de le transcrire non plus. Il s'en empare pour le pétrir, le raccourcir, l'allonger, le façonner au gré de son imagination ou de ses raisonne ments: il arrive, par quelque calembour, à faire sortir un sens apparent de ce vocable incompris1. Les Francs prennent le Megara

1. Bondelmont., Lib. Insul., chap. x et suiv.: « Nunc ad insulam Carpanti venimus. Carpos enim graece, latine fructus... Nisaros nisos graece, insula latine interpretatur... Dicitur Sicandros a multitudine ficuum: Sicos, etenius graece, latine ficus, interpretatur... Policandros dicitur a poli, civitas et andros, homines, id est civitas hominum vel virorum... Panaya a pan graece totum latine, et ya, sanitas, quasi tota santitas... Anafios surgit insula, ab ana graece, latine sine, et fios, serpens id est sine serpente. » De même Thevenot, I, chap. LXIX: «L'île de Milo est ainsi appelée de Mylos, qui, en grec vulgaire, veut dire moulin, cause qu'il y a quantité de moulins à vent et aussi parce qu'ils en tirent les meules de moulin... L'île de Syra, qui en grec vulgaire veut dire Signora ou maitresse, est ainsi appelée parce qu'elle com

« 上一頁繼續 »