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souvent, en regard de l'Odyssée, on peut copier quelque passage de nos Instructions nautiques.

La description de Charybde et de Skylla n'est qu'une instruction nautique d'une précision parfaite. « Voici mes instructions, pilote, »dit Ulysse à l'entrée du détroit, « tu vois cette vapeur et ce remous; tiens le navire en dehors; ne perds pas de vue le rocher qui est sur la côte, en face, de façon à ce que le navire ne t'échappe pas et que tu ne nous jettes pas en perdition :

σοὶ δὲ, γυβερνῆθ”, ὧδ' ἐπιτέλλομαι...
τούτου μὲν καπνοῦ καὶ κύματος ἐκτὸς ἔεργε
νῆα· σὺ δὲ σκοπέλου ἐπιμαίεο μή σε λάθῃσιν
κεῖσε ἐξορμήσασα καὶ ἔς κακὸν ἄμμε βάλῃσθαι.

Nous ouvrons nos Instructions nautiques : « La navigation de ce détroit demande quelques précautions à cause de la rapidité et de l'irrégularité des courants qui produisent des remous ou tourbillons dangereux pour les navires à voiles. En outre, devant les hautes terres, les vents jouent et de fortes rafales tombent des vallées et des gorges, de sorte qu'un navire peut arriver à ne plus être maître de sa manœuvre. La rencontre de deux courants opposés produit, en divers points du détroit, des tourbillons et de grands remous appelés garofali (œillets) dans la localité. Les principaux sont sur la côte de Sicile et sont aussi appelés carioddi : c'est le Charybde des anciens. »

« Le détroit, dit Kirké à Ulysse, est bordé de deux roches, l'une très haute, où habite Skylla, l'autre très basse, sous laquelle Charybde engloutit les flots. Rapproche-toi de Skylla, qui te prendra six compagnons. Mais il vaut mieux perdre six hommes que tout ton équipage. »

Les Instructions nautiques recommandent encore la même manœuvre. Quand on vient de la mer Tyrrhénienne, il faut s'écarter de la côte de Sicile, se rapprocher de la côte de Calabre où l'on trouve la marée plus favorable. Puis, la région des garofali étant dépassée, on gouverne au milieu du canal et l'on va sans difficulté soit à Messine, soit à Rhegium, de l'un ou de l'autre côté du détroit. Ulysse, qui vient du nord, gouverne ainsi.

1. Odyssée, XII, v. 217-221.

2. Instr. naut., no 731, p. 237 et suiv.

Il longe d'abord Skylla, qui lui prend six hommes. Puis il revient au milieu de la passe et de là il entend les mugissements des troupeaux siciliens. Il met alors le cap sur la côte sicilienne et débarque au Port-Creux, à Messine1... En sens inverse, après le massacre des troupeaux divins et le naufrage qui en est la punition, Ulysse, sur son épave, est d'abord jeté vers Charybde, puis vers Skylla. Il retourne vers le nord. Il est exilé de nouveau par les dieux vers les terreurs et les enchantements de la grande mer Occidentale, où l'attend la captivité de Kalypso.

Il faut donc suivre les Plus homériques. W. Helbig protestait déjà contre les gens qui ne tiennent pas un compte rigoureux de tous les mots du poète : « Les épithètes homériques, dit-il, traduisent la qualité essentielle de l'objet qu'elles doivent caractériser. » Ce ne sont pas des épithètes poétiques que l'on peut traduire ou négliger selon la fantaisie du moment. Il faut s'attacher à tous les mots de l'épopée, τοῖς ἔπεσιν ἀκολουθοῦντες, et le livre de W. Helbig est là pour montrer quels résultats on peut espérer d'une pareille méthode. En étudiant les textes, les vrais textes, « le vrai grec », comme le voulait S. Reinach, le moyen de la géographie maritime, comme le voulait E. Curtius, nous arriverons, je crois, à quelques certitudes sur l'origine de la civilisation grecque.

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par

Victor BERARD.

1. Odyssée, XII, v. 260 et suiv.

2. W. Helbig, l'Épopée homérique, trad. Trawinski, p. 201.

LES RELATIONS

DE

HENRI IV AVEC LA LORRAINE

DE 1608 A 1610.

Au début de son règne, Henri IV avait trouvé dans le duc de Lorraine Charles III un adversaire redoutable, qui faillit un moment devenir son rival au trône. Quand la paix eut été conclue entre les deux princes, le roi essaya de s'assurer l'alliance du duc en mariant sa propre sœur, Catherine de Bourbon, avec le fils aîné de Charles III, le duc de Bar Henri; mais les deux époux étaient parents, la duchesse calviniste. La poursuite de la dispense nécessaire au mariage, mais dont l'obtention fut retardée par l'obstination religieuse de la princesse, occupa de longues années et permit aux Lorrains de témoigner à Henri IV leur opposition. Cependant, le roi ne se tint pas pour battu. A la mort de Catherine, il songea à la remplacer; deux ans après, Henri de Bar épousait la nièce de la reine, Marguerite de Gonzague. Bientôt mourut le cardinal de Lorraine, le meilleur auxiliaire de la politique de Charles III. Quand le vieux duc disparut à son tour (14 mai 1608) et que son fils aîné lui eut succédé sous le nom de Henri II, Henri IV pouvait croire le moment venu de diriger les affaires de Lorraine. Il n'en était rien. Le roi de France allait trouver dans le duc son neveu et dans ses conseillers une opposition presque constante à ses projets.

Henri II, à qui ses sujets devaient donner le nom de Bon, bienveillant à l'excès, courageux et chevaleresque, était faible d'intelligence et surtout de caractère. Sous l'empire des Jésuites, qui pullulaient à la cour de Lorraine, il était devenu d'une dévotion outrée. Naturellement irrésolu et habitué à se laisser diriger par son père, il lui était devenu impossible de se conduire

lui-même et d'agir avec suite, ce qui ne l'empêchait pas de persévérer dans une voie fausse ou équivoque, faute d'en apercevoir les dangers. En un mot, il n'avait aucune des qualités politiques de Charles III, dont il allait cependant suivre les traditions.

L'avènement du nouveau duc n'avait amené aucune révolution à la cour de Nancy. Les conseillers de Charles III restaient au pouvoir. C'étaient M. de Maillane, maréchal du Barrois, le baron d'Ancerville, grand chambellan de Lorraine, Michel Bouvet, président de la Cour des comptes et M. de Marainville, secrétaire des commandements du duc, quatre personnages qui avaient été au premier plan sous le règne précédent et qui devaient y demeurer après. D'autres cependant allaient prendre sous Henri II une place non moins considérable comme Jean Voillot, simple conseiller d'État sous Charles III, devenu secrétaire général des commandements du nouveau duc, et surtout le comte de Torniel qui avait été premier gentilhomme de la chambre et surintendant de la maison du duc de Bar. Nommé à l'avènement de Henri II grand maître d'hôtel et chef des finances de Lorraine, le comte allait devenir le premier conseiller du duc; originaire d'une famille milanaise, il devait servir d'intermédiaire entre la Lorraine et l'Espagne et faire pencher du côté de Philippe III la politique de sou maître. C'est surtout à ces deux conseillers, Voillot et Torniel, qu'il faut attribuer l'opposition que fera Henri II aux desseins du roi de France.

Au milieu de l'année 1608, Henri IV avait-il sur la Lorraine des projets arrêtés? Il est permis de l'affirmer. Un peu plus tard, quand il dévoila au maréchal de Lesdiguières le but de sa politique, son plan, en ce qui concernait la Lorraine, était déjà réalisé point par point. Ce but était d'établir sa propre famille au-dessus des princes du sang de toutes les autres maisons. Comme le principal fondement de l'Estat estoit son fils le Daulphin,» auquel << toutes les lignes de la puissance du royaume se doivent rapporter » comme une construction bien faite à une pièce centrale, Henri IV déclarait « qu'il vouloit establir ses enfans legitimes et autres en telle façon qu'ils s'opposassent aux entreprises et usurpations de la maison de Lorraine et de Guise, lesquels, de tout temps, avoient eu se but d'empiester l'Estat ». Développant son plan, le roi ajoutait < qu'il commenceroit par... le Daulphin, que son intention REV. HISTOR. LXXVII. 1er FASC.

3

estoit de l'establir Roy absolu et luy donner toutes les vrayes et essentielles marques de la Royauté, et obliger tous ses freres et sœurs, soit legitimes soit naturels, de le recognoistre comme leur vray Maistre ». Il mariait à Louis l'héritière de Lorraine, puis établissait ses autres fils et filles. Voulant « opposer ses enfans naturels a tous les princes de Lorraine qui ont tousjours l'image du Roy de Sicile devant les yeux, et aux maisons de Savoye, de Longueville et de Nevers », il avait commencé par le duc de Vendôme, le premier de ses bâtards, pour continuer par les enfants de la marquise d'Entragues, dont l'aîné était le marquis de Verneuil1.

Dans ce plan, la maison de Lorraine était directement visée. Henri IV devait réaliser ces projets en mariant d'abord le duc de Vendôme à Mlle de Mercœur, en assurant au marquis de Verneuil l'évêché de Metz, puis en préparant l'union du dauphin avec la fille aînée de Henri II. Ce dernier mariage, qui sera le point capital de sa politique en Lorraine, Henri IV ne pouvait évidemment pas le prévoir à l'avènement de Henri II puisque le nouveau duc n'avait pas encore d'enfant; mais les circonstances devaient bientôt porter le roi à le concevoir, puis à le réaliser. D'ailleurs, Henri IV essayait d'agir indirectement sur la Lorraine en la tenant sous sa dépendance au point de vue religieux et en s'établissant fermement à Metz, Toul et Verdun. Quand viendra le moment d'intervenir dans le duché, le roi aura dans la main les trois évêchés et sera maître incontesté des villes de protection.

I.

Le mariage de César de Vendôme avec Françoise de Lorraine, fille de la duchesse de Mercœur, la plus riche héritière du royaume, était préparé depuis dix ans quand, en 1608, Henri IV s'occupa de le réaliser. La duchesse, soutenue secrètement par les Guise, n'en voulait pas. Elle opposa à Vendôme le comte de Chaligny, cousin germain de sa fille, et fit si bien que

1. « Discours de ce qui s'est passé le vendredy dix septieme d'octobre mil six cens neuf, entre le Roy et M. le marechal Desdiguieres, dans la galerie de Fontainebleau » (arch. du ministère des Affaires étrangères, f. fr., t. 767, fol. 120-124).

2. Lettres missives de Henri IV des 20 et 21 mars 1598, t. IV, p. 934 et 935, Cf. L'Estoile, éd. Jouaust, t. VII, p. 127.

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