網頁圖片
PDF
ePub 版

Un an après, la cité tombait à son tour sous la domination du roi. Le règlement du 1er août 1609, en même temps qu'il supprimait les droits ecclésiastiques et féodaux de l'évêque, diminua les privilèges dont jouissait la ville. Désormais, les « estrangers, c'est-à-dire les Lorrains, ne pourraient posséder de bénéfices dans la partie du diocèse qui était française; les candidats qui en seraient pourvus n'en jouiraient qu'après avoir communiqué leurs provisions au procureur du roi. D'autres articles visaient directement l'ancienne autorité du comte et les libertés des citoyens. Le roi se réservait la connaissance du « crime de faulse monnoye » à Toul; la garde des portes de la ville devait être « a sa solde et sur son Estat ». Désormais, les appellations des jugements de l'évêque, du chapitre et des magistrats ressortissaient directement à la justice de Metz et non plus à la chambre de Spire, ce qui brisait le dernier lien de la cité avec l'Empire. Henri IV se réservait d'évoquer à son conseil, pour deux années, les différends survenus entre ses officiers et les magistrats municipaux, d'ailleurs ses représentants devaient acquitter toutes les charges et jouir de tous les privilèges des citoyens'. Toul n'était donc plus protégé par le roi de France.

Henri IV eût désiré en faire autant à Verdun. L'évêque Erric lui était dévoué, il est vrai; mais c'était un prince lorrain, fort attaché à sa dignité de comte, contre lequel le roi eût voulu faire prévaloir son autorité. Depuis plusieurs années, des différends avaient surgi entre le gouverneur, M. d'Haussonville, et un serviteur d'Erric nommé Passavant, à l'occasion d'entreprises de juridiction des officiers royaux et de la prétention qu'émettait Henri IV de nommer les candidats aux bénéfices du diocèse3. Pour atteindre les droits de l'évêque et du chapitre, Henri eût voulu établir à Verdun une chambre royale; le procureur La Plume en fit réclamer la création par quelques bourgeois. Erric réclama; un arrêt du conseil d'État maintint l'évêque et le chapitre dans leurs droits, tout en faisant porter à Metz les appellations qui allaient auparavant à Spire (7 juillet 1607)1.

1. Reglement du Roy Henry le Grand pour les officiers de Toul (bibl. de l'Institut; coll. Godefroy, t. 331, fol. 427-429). Cf. de Pimodan, ouer. cit., p. 373. 2. En réalité, d'Haussonville était lieutenant du comte de Vaudémont pour le roi.

3. Lettre de Baret citée (coll. de Lorraine, t. 14, fol. 36).

4. De Pimodan, p. 363-364.

«

Henri IV ne s'en tint pas là. L'année suivante, M. de Bullion fut chargé d'« informer le roi des droits et prétentions » qu'il avait à la souveraineté et erection de justice à Verdun ». Le rapport fut peu concluant : Bullion ne montrait que les antécédents de la protection des rois de France sur la cité et se bornait à conclure à la « volontaire submission » de certains évêques. Henri IV désirait davantage. La Plume, chargé de rechercher des titres établissant ses droits complets, s'adressa au bailli de Verdun, Saintignon, qui dut en fournir de meilleurs, car Erric cassa son bailli et mit Passavant à sa place1. Saintignon, prétendant que son attachement à Henri IV était le seul motif de sa disgrâce, refusa de résigner sa charge. A son tour, Erric protesta de son dévouement à la cause royale et réclama « la disposition des Estats de son Evesché » et la « conservation des droits et juridiction » que le roi lui avait » que le roi lui avait « par plusieurs fois promis? ». Passavant s'en alla trouver Henri IV; Saintignon vint aussi plaider sa cause et ce fut lui qui la gagna (12 novembre 1609)3.

Erric était vaincu. Las de la lutte et depuis longtemps dégoûté de la vie ecclésiastique', il eût voulu laisser son évêché à son neveu, le comte de Chaligny; mais le roi ne voulait pas à Verdun un nouveau lorrain. En vain Erric alla-t-il à Rome solliciter cette grâce, prenant des chemins détournés et « portant des lunettes à son nez pour se rendre incongneu ». Henri IV, averti par M. de Brèves, ne lui permit pas de résigner son évêché.

Ainsi, dans la seconde partie de l'année 1609, le roi de France était devenu à peu près maître absolu dans les trois évêchés, car Metz, Toul et Verdun n'étaient plus guère que de nom des << villes de protection. » C'est à ce moment que Henri IV se décida

1. Lettre de Saintignon au chancelier Sillery, 1er février 1609 (coll. Godefroy, t. 265, fol. 26).

2. Lettres originales d'Erric au roi et à Villeroy, 2 août 1609 (coll. Godefroy, t. 265, fol. 55 et 57).

3. Valois, Inventaire des arrêts du Conseil d'État sous Henri IV, t. II, n° 14597.

4. Voir E. Langlois, Un évêque de Verdun, prince de Lorraine, ensorcelé, marié et condamné par le tribunal de l'Inquisition (Annales de l'Est, t. IX, p. 277 et suiv.). Cf. L'Estoile, t. IX, p. 82, et Lettres missives du 28 octobre 1605, t. VI, p. 559.

5. Lettres d'Ubaldini au cardinal Borghèse, ms. ital. 1264, fol. 281, 288 et 295; de Brèves à l'ambassadeur de Venise, Champigny, 12 décembre 1609 (Bibl. nat., ms. fr. 20786, fol. 457), et Lettres missives du 17 mars 1610, t. VII, p. 862.

à réaliser les projets qu'il avait conçus depuis près d'un an sur la Lorraine en mariant le dauphin avec la fille aînée de Henri II.

II.

L'idée de marier au dauphin l'héritière du duché de Lorraine paraît être venue à l'esprit de Henri IV d'une façon assez inopinée. Si l'on en croit l'historien Vittorio Siri, le roi aurait conçu ce projet peu après la naissance de la princesse. En 1608, le duc de Mantoue, Vincent de Gonzague, était venu en Lorraine pour assister aux funérailles de Charles III. Après avoir séjourné quelque temps à Nancy', il s'en alla prendre les eaux à Spa; il y rencontra son cousin, le duc de Nevers, qui l'invita de la part du roi son maître à venir en France. Vincent arriva à Paris au mois de septembre et resta quelques semaines à la cour, choyé par le roi et la reine, sa belle-sœur3. Le duc allait s'en retourner en Italie quand il apprit que sa fille, la duchesse de Lorraine, venait d'accoucher d'une fille, Nicole', et qu'elle était « si gravement malade que les médecins avaient peu d'espoir de la guérir ». Henri IV rassembla aussitôt son conseil, gagna le duc en lui promettant son appui en Italie, et, dans la nuit du 12 octobre, décida que, si Marguerite de Gonzague venait à mourir, son père se rendrait immédiatement à Nancy, et s'efforcerait, par l'effet que produirait sa présence, d'amener Nicole en France << sous prétexte de la faire élever auprès de la reine, mais au fond pour la marier au dauphin et réunir, par ce moyen, la Lorraine à la France ». Vincent se serait d'autant mieux laissé persuader qu'on parlait d'un attentat du comte de Vaudémont contre sa belle-sœur. Le duc envoya à Nancy son médecin pour s'assurer de la vérité; il en apprit bientôt le rétablissement de Marguerite3.

1. Arch. de la Meurthe, B 7709.

2. Le duc passa par Phalsbourg au mois de juillet, sans doute pour se rendre à Spa (ibid., B 8083).

3. Suivant L'Estoile, t. IX, p. 136 et 143, Vincent, arrivé à Paris le 27 septembre, partit pour Fontainebleau le 15 octobre. Ces données s'accordent avec les faits postérieurs. Bassompierre dit à tort qu'il vint à la cour en août et s'en alla en sept. (Hist. de ma vie, éd. de la Soc. de l'hist. de France, t. I, p. 201-202). 4. Nicole naquit le 3 octobre 1608 (Mémoires de Balthasar Guillerme, conseiller, secrétaire de Son Altesse..., pour servir à l'histoire de Lorraine; Bibl. nat., ms. fr. 14518, p. 24).

5. Siri, Memorie recondite, t. I, p. 552, et t. II, p. 37; traduction française, t. VII, p. 255-258, et t. VIII, p. 3-5.

Le récit de Siri peut sembler romanesque; mais toutes les circonstances qui y sont rapportées s'accordent avec les données que nous fournissent les documents contemporains1. D'ailleurs, l'historien italien, historiographe de France sous Louis XIV, avait consulté les archives du royaume et peut-être, sous Mazarin, celles de la famille de Gonzague. Nous n'avons, il est vrai, aucune trace du conseil d'État tenu dans la nuit du 12 octobre; mais rien ne s'oppose à ce qu'il ait eu lieu; la date en est vraisemblable3. Il est donc permis de croire que Henri IV songea à marier le futur Louis XIII à Nicole de Lorraine dès le mois d'octobre 1608, mais que ce projet n'eut pas de suite immédiate. Les événements qui allaient se dérouler le firent bientôt reprendre. Moins d'une année après la naissance de Nicole, le roi devait tout tenter pour l'unir au dauphin. Le mariage lorrain, dont les circonstances n'ont pas été suffisamment mises au jour et dont on a même niẻ le projet, fait partie du « grand dessein » de Henri IV réduit à ses justes proportions 5.

La mort du duc de Clèves (25 mars 1609) et les prétentions

1. Les préliminaires de l'accouchement, son succès, la inaladie qui suivit nous sont connus par les lettres de Marie de Médicis réunies sous la date de 1608 (Bibl. nat., fonds Colbert Ve, t. 87). La reine avait envoyé à sa nièce son propre chirurgien, Honoré (fol. 249-251), grâce à qui tout se passa bien (fol. 257 v et 258). Quand Marguerite tomba malade (fol. 260 v3), Vincent dépêcha son médecin et pria le roi et la reine d'en envoyer d'autres (fol. 262 vo et 263). Marie de Médicis, impatiente d'avoir des nouvelles, en avait fait réclamer par le prince de Joinville, qui s'en allait en Lorraine (fol. 262. — Pour la date, voir Lettres missives du 24 décembre 1608, t. VII, p. 656). Au début de l'année suivante, toute maladie était conjurée; le 12 janvier 1609, la reine félicitait sa nièce de son rétablissement et lui apprenait le retour de son père à Mantoue (fol. 285 vo).

2. Sur les suites de ce mariage, Siri dit avoir inutilement recherché dans les archives de la couronne » (éd. italienne, t. II, p. 37; trad. française, t. VIII, p. 228).

3. Si, comme il semble probable, la maladie de Marguerite se déclara quelques jours après l'accouchement, un courrier, venant de Nancy par Montmirail en quatre ou cinq jours, pouvait arriver à Paris le 11 octobre. Ce jour-là, Henri avait réuni son conseil (Valois, t. II, p. 501); peut-être le tint-il assemblé dans la nuit du 11 au 12. Rien ne prouve, d'ailleurs, qu'il ne l'ait rassemblé de nouveau le 12 au soir, si le courrier n'arriva que ce jour-là.

4. Memorie recondite, t. II, p. 37. Siri n'a pas vu qu'en refusant de croire que Henri IV ait pu concevoir ce mariage en 1609, il contredisait son propre récit touchant l'année précédente.

5. Voir là-dessus les Économies royales de Sully et le grand dessein de Henri IV, par M. Pfister, articles parus ici même, t. LIV-LVI, 1894.

qu'émettait, sur son héritage, la maison d'Autriche, à qui l'archiduc de Flandre pouvait donner la main sur le Rhin inférieur, avaient changé l'attitude du roi. Oubliant les dispositions pacifiques qu'il n'avait cessé de témoigner depuis 1598 malgré les provocations des Espagnols et les sollicitations de ses conseillers huguenots, Henri IV acceptait l'éventualité d'une guerre pour soutenir, contre les princes catholiques et l'empereur lui-même, les droits des princes protestants'. Malgré les déclarations du roi, Rodolphe II avait chargé ses agents de prendre en main l'administration des duchés de Clèves et de Juliers et évoquait à soi le conflit (14 mai). Au début de juin, Henri IV renvoya en Allemagne son émissaire ordinaire, M. de Bongars, pour essayer une médiation; mais à ce moment les princes de l'Union évangélique décidaient, à Dortmund, de laisser les duchés au comte palatin de Neubourg et à l'électeur de Brandebourg. Henri IV ne devait pas tarder à se déclarer en leur faveur. Tout en négociant à l'extérieur, le roi se préparait en France. Sur les frontières de Champagne devaient se réunir des troupes importantes. Il faisait revenir de Languedoc ses compagnies d'élite et avait résolu, pour le 31 juillet, de faire assembler à Mézières la compagnie de deux cents hommes d'armes de ses ordonnances « soubs le tiltre de la Reyne », à Mouzon celle du dauphin, à Toul celle de son second fils, le duc d'Orléans, à Arcis-sur-Aube celle du connétable de Montmorency et bientôt à Vaucouleurs celle du marquis de Verneuil3. Ces préparatifs devaient intimider l'archiduc de Flandre, et, au besoin, servir à une action plus directe. En cas de guerre avec l'Empire ou l'Espagne, Henri eût pu ainsi isoler la Franche-Comté des Pays-Bas et de l'Allemagne.

Dans ces conditions, c'était en quelque sorte un devoir pour lui de s'assurer de la Lorraine, trait d'union naturel entre les comtés espagnols de Bourgogne et de Luxembourg. Tenir le duché en sa puissance eût été pour Henri IV le plus sûr moyen d'empêcher les possessions séparées de l'Espagne et les deux branches de la maison d'Autriche de faire un corps à l'est du

1. C'est ce qu'il déclarait dès le 3 avril à ses ambassadeurs en Hollande (Philippson, Heinrich IV. und Philipp III., t. III, p. 340).

2. Anquez, Henri IV et l'Allemagne d'après la correspondance de Bongars, p. 160-162. Cf. Philippson, t. III, p. 342-345.

3. Lettres missives du 28 juillet 1609, t. VIII, p. 964-965, et Arch. nat., K 108, pièce 122 bis. Cf. Bassompierre, t. I, p. 227.

« 上一頁繼續 »