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royaume. Sans doute, Henri IV y avait songé depuis longtemps, autant pour agrandir ses États ou ceux de son fils que pour porter le coup de grâce à cette maison de Lorraine « dont il avait reçu des maux indicibles1. » A la fin de 1608, il avait cru un moment en trouver le moyen par le mariage de Nicole et du dauphin. En temps ordinaire, Henri IV eût attendu pour proposer cette alliance que la princesse fût un peu plus âgée; d'ailleurs, il pouvait naître un fils à Henri II. L'ouverture de la succession de Clèves précipita la réalisation des projets du roi.

L'action de l'empereur et la décision des princes protestants provoqua sans doute la détermination de Henri IV. Peut-être s'occupa-t-il du mariage lorrain dès la fin du mois de mai; du moins était-il résolu en juin2. L'affaire devait se conclure avec tout le secret possible; par crainte d'indiscrétion, le roi n'en parla à aucun de ses ministres3. Il lui fallait cependant, pour faire à Henri II les ouvertures nécessaires, se confier à un homme qui lui fût personnellement dévoué et fût cependant assez intéressé aux affaires de Lorraine pour n'exciter aucun soupçon, soit en France, soit dans le duché.

Il ne pouvait mieux choisir que Bassompierre. Le jeune marquis, mousquetaire avant l'âge, sorte de condottiere qui avait déjà couru l'Allemagne, l'Autriche, l'Italie et la Suisse, compagnon de plaisir et favori du roi, lui devait toute sa fortune; mais il venait de refuser de prêter le serment de conseiller d'État et paraissait ne vouloir jouer aucun rôle politique. Envoyé déjà en Lorraine pour y représenter Henri IV, Bassompierre était fort

1. Mémoires de Richelieu, coll. Michaud et Poujoulat, t. I, p. 32. Cf. Discours de Henri IV au maréchal de Lesdiguières : « Il se resolvoit de faire le mariage de Me de Lorraine avec monseigneur le dauphin, si tant est que le duc d'auiourd'huy n'eust d'autres enfans, que ce ne seroit pas peu d'adiouster à la couronne de France la Lorraine » (arch. des Affaires étrangères, f. fr., t. 767, fol. 121).

2. En faisant le total des jours que donne Bassompierre, t. I, p. 224-225, on voit que Henri IV lui parla de ce projet quatorze jours après le mariage du prince de Condé, soit le 31 mai. Plus loin, p. 226, il semble que ce soit au mois de juin. Sur la fin de ce mois, Henri IV renvoyait, avec ses instructions, l'envoyé du landgrave de Hesse, l'auteur de la convention de Dortmund. Dès lors, sa politique en Allemagne était fixée (Philippson, ouvr. cit., t. III, p. 344, n. 2). 3. Bassompierre, t. I, p. 227.

4. Le fait se rapporte sans doute à l'année 1608. En 1610, dit Bassompierre, le Roi voulut qu'enfin je lui prestasse le serment de conseiller d'Estat, que je n'avois voulu prester deux ans auparavant » (Histoire de ma vie, t. I, p. 269). 5. Aux noces du duc Henri avec Marguerite de Gonzague (Ibid., p. 183).

estimé à Nancy où il était un personnage marquant et quasiofficiel. A la fin de son règne, le vieux duc Charles III l'avait prié plusieurs fois de l'assister auprès des États du duché1; Henri II, dont il tenait le jeu et qui était son débiteur2, l'aimait beaucoup; enfin, il était si populaire en Lorraine qu'à chaque voyage qu'il faisait à Nancy ou dans les terres de son frère à Haroué, il rassemblait autour de lui une partie de la noblesse du pays3, jalouse d'approcher un personnage si bien en cour, si heureux en amour, si accompli dans ses manières, si soigné dans sa tenue. Ainsi, Bassompierre, en quelque sorte Lorrain et Français à la fois, pouvait facilement embrasser les vues du roi sans paraître suspect au duc. Douze mille écus qu'il pouvait distribuer aux conseillers lorrains devaient bien disposer en sa faveur l'entourage de Henri II. Pour écarter tout soupçon d'une action politique en Lorraine, Henri IV avait résolu de couvrir ce voyage d'une sorte de mission en Allemagne5.

Cette ambassade extraordinaire paraît avoir été confiée à Bassompierre vers la fin du mois de juin; mais il semble que le marquis ne soit parti que vers le 10 juillet. Il arriva en Lorraine vers le milieu du mois, et, pour mieux déjouer tout soupçon, s'en alla droit à Haroué chez sa mère. Après y être demeuré une douzaine de jours, il vint à Nancy saluer les princes et passer son

1. Ibid., p. 191-192 et 194.

2. Arch. de la Meurthe, B 1326, fol. 139 et 140, aux comptes des années 1608, 1609 et 1610.

3. Histoire de ma vie, t. I, p. 170 et 266.

4. Ibid., p. 225.

5. Ibid., p. 229. Ces détails tirés des Mémoires mêmes de Bassompierre, le caractère du marquis, le secret que réclamait sa mission et la façon dont il l'exécuta expliquent suffisamment, croyons-nous, le caractère « romanesque »> du récit que Bassompierre nous en a laissé et le fait que les contemporains n'en ont point parlé. Philippson, ouvr. cit., t. III, p. 384, note, qui trouvait là des arguments suffisants pour rejeter au rang de fable l'ambassade de Bassompierre, n'a pas vu que les documents espagnols dont il se servait pour exposer l'action politique de Henri IV en Lorraine confirmaient indirectement le témoignage du marquis. La sincérité de Bassompierre en ce qui concerne le grand dessein », établie par M. Pfister (Revue historique, t. LVI, p. 46-48), est, d'ailleurs, confirmée par le témoignage de l'historiographe Scipion Dupleix (Histoire de Henri le Grand, éd. de 1635, p. 400), un des rares contemporains qui n'aient pas exagéré les projets de Henri IV.

6. Bassompierre, t. I, p. 226, raconte qu'il voulut, avant son départ, voir le mariage de César de Vendôme, célébré le 7.

7. Ibid., il écrit « quelques jours »; à la page suivante, on voit qu'avant de parler de son ambassade du duc, il était resté trois semaines en Lorraine »,

temps à la cour. Ce fut seulement au bout de quatre ou cinq jours qu'il demanda audience à Henri II; il lui remit alors sa lettre de créance et lui exposa le motif de son ambassade. Le duc, sans doute encore ému d'un attentat auquel il venait à peine d'échapper1, fut effrayé. Le séjour de Bassompierre en Lorraine et surtout le silence qu'avait gardé l'ambassadeur depuis son arrivée à Nancy lui paraissaient suspects. Henri craignait que le marquis n'eût attendu, pour se déclarer, l'approche des troupes royales vers la frontière, afin de le contraindre par les armes s'il n'accédait immédiatement à la proposition de Henri IV. Bassompierre s'efforça de le détromper, l'assurant que le roi n'avait amassé tant d'hommes en Champagne que pour empêcher toute entreprise de l'archiduc Albert sur Clèves et lui apprit que Henri IV ne lui demandait, pour l'instant, que de garder le secret de sa proposition et lui laissait, pour se décider, l'espace de quinze jours3.

Le duc fut un peu rassuré; mais, incapable de prendre luimême une résolution dans une affaire aussi grave, il en chargea le président Bouvet, qui avait toute sa confiance et que le roi estimait. Le soir, le président, dont la maison était voisine de celle qu'habitait Bassompierre, le vint trouver; ils allèrent se promener dans « la place de la rue Neuve enfermée de barrieres ». Le marquis détailla à Bouvet la proposition du roi, fit ressortir à ses yeux les avantages que le duc y devait trouver et lui offrit de l'interesser » dans l'affaire; le président refusa, protestant de son dévouement à son maître et déclarant qu'il

y compris les quatre ou cinq jours qu'il demeura à Nancy. Ce chiffre, qu'il place d'ailleurs dans la bouche de Henri II, est exagéré : Bassompierre arriva à Nancy à la fin de juillet. Sur ces dates, voir plus loin, p. 48, n. 2.

1. Henri II avait failli être assassiné le 18 juillet (Mémoires de Balthasar Guillerme, ms. fr. 14518, fol. 26). Cf. lettre de condoléance de la reine, fonds Colbert Vc, t. 87, fol. 329 vo.

2. Les compagnies royales étaient sans doute arrivées à la fin du mois de juillet, comme le roi l'avait ordonné. Cf. une lettre du conseiller d'État M. de Puysieux à M. de Brèves du 23 juillet 1609 : « Sa Majesté fait presentement acheminer ses compagnies, qu'elle entretient de gendarmes et de chevau-legers, en Champagne, proche la frontiere des archiducs » (Bibl. nat., ms. fr. 3541, fol. 18). Cf. une lettre de Villeroy à Bongars, Anquez, ouvr. cit., p. 162. — Deux mois plus tard, Henri IV devait faire retirer ses compagnies (Lettres missives du 3 octobre 1609, t. VII, p. 777).

3. Bassompierre, t. I, p. 227-229.
4. Aujourd'hui place de la Carrière.

avoir épuisé tous les moyens de conciliation, il ne restait plus à Henri IV qu'à obliger Mme de Mercœur à s'exécuter en lui intentant une action judiciaire. D'après les termes du traité conclu en 1598, le roi pouvait, en cas de dédit, réclamer à la duchesse cent mille écus comptant, lui en faire payer deux cents mille autres et se faire amener la princesse; mais il préférait avoir pour lui la légalité1.

Pour gagner le procès que Henri IV pensait faire à Mme de Mercœur, le consentement de Henri II ne suffisait plus; Chanvallon devait déclarer en justice la volonté du duc de Lorraine et celle du comte de Vaudémont. Henri IV chargea son maître d'hôtel ordinaire, M. de la Clielle, d'aller à Nancy retirer les pièces nécessaires. Le choix du roi était significatif. Depuis qu'il avait conclu la paix avec Charles III, Henri IV n'avait pas envoyé en Lorraine d'ambassadeur pour traiter d'affaires politiques. La Clielle, que le roi chargeait d'une mission de confiance, connaissait les affaires du duché. Envoyé plusieurs fois comme ambassadeur à Florence pendant la Ligue, il avait réclamé les bons offices du grand-duc pour amener la paix entre Henri IV et Charles III. Il devait, cette fois, accompagner l'évêque de Verdun qui s'en retournait en Lorraine et retirer de Henri II un pouvoir, de François de Vaudémont une procuration au nom de Chanvallon pour le mariage du duc de Vendôme et de Mlle de Mercœur 3.

Henri II et son frère s'exécutèrent et bientôt Mme de Mercœur en fit autant. Sa fille fut élevée auprès de la reine; le mariage eut lieu le 7 juillet 16091. César de Vendôme, devenu duc de Mercœur, devait, par lettres patentes du 15 avril 1610, enregistrées le 4 mai, « recevoir rang et seance immediatement apres les princes estrangers », c'est-à-dire de Lorraine, de Savoie et de Nevers. De ce côté, Henri IV avait pleinement réussi et il en témoigna sa reconnaissance au comte de Vaudémont, comme il

1. Instructions à M. de la Clielle, p. 93.

2. Cf. Annales de l'Est, t. XV, p. 89-90.

3. Instructions, p. 90. Cf. Lettres missives du 8 juin 1608, t. VIII, p. 959. Cette lettre, adressée au duc de Lorraine, avait été déjà imprimée avec celle du comte de Vaudémont comme étant de 1598, t. IV, p. 942 et 943.

4. L'Estoile, t. IX, p. 313.

5. Bibl. nat., coll. Brienne, t. 267, fol. 82, et arch. des Affaires étrangères, f. fr., t. 767, fol. 169.

6. Lettres missives du 23 décembre 1608, t. VII, p. 654 et 655.

l'avait fait déjà au duc de Lorraine et à l'évêque de Verdun'. Pendant qu'il mariait son premier båtard, Henri IV réussissait à pourvoir le second de l'évêché de Metz. Le cardinal Charles de Lorraine, détenteur de ce siège, avait fait trop de mal au roi pour qu'il ne songeât pas à en assurer la succession à un serviteur dévoué. Dès 1601, Henri IV avait fait sonder le pape sur la coadjutorerie de cet évêché; mais cette demande, timidement faite et assez froidement accueillie par Clément VIII2, ne lui fut sans doute pas renouvelée. En vain, le roi avait-il réclamé l'indult pour les trois évêchés, le pontife le lui avait refusé. Henri IV songea alors à en assurer les sièges à ses candidats. Il choisit pour Metz le marquis de Verneuil. A la mort du cardinal de Lorraine (24 novembre 1607), les chanoines de Metz postulèrent en sa faveur; mais le prince était trop jeune, ils échouérent3. Le roi, qui s'était déjà vu refuser l'abbaye de SaintSymphorien-lès-Metz', se contenta de réclamer pour son fils l'expectative de l'évêché dont le siège serait donné au cardinal de Givry 5.

Henri IV s'était flatté d'obtenir facilement cette satisfaction. En dépit du zèle que le roi mettait à réformer les abbayes de France et celles de Metz en particulier, son ambassadeur à Rome, M. d'Alincourt, ne parvenait point à obtenir de Paul V le « tiltre de l'evesché » pour le cardinals. Henri IV changea d'ambassadeur. M. de Brèves, rompu dans la diplomatie par un long séjour à Constantinople, fut envoyé à Rome avec les expéditions nécessaires pour obtenir la nomination de Givry. Le nouvel ambassadeur réussit; le cardinal obtint le siège de Metz dont l'expectative était garantie au marquis de Verneuil.

A Rome, le nouvel évêque avait défendu les intérêts français

1. Instructions à M. de la Clielle (Annales de l'Est, t. XIV, p. 90-92).

2. Lettres du cardinal d'Ossat, éd. Amelot de la Houssaye, t. IV, p. 507.

3. Histoire de Metz par les Bénédictins, t. III, p. 189.

4. Lettres missives du 7 février 1608, t. VII, p. 106.

5. Ibid., 28 et 30 novembre, 24 décembre 1607 et 7 février 1608, t. VII, p. 391, 394, 399 et 486-487.

6. Ibid., 13 décembre 1607 et 28 mars 1608, t. VII, p. 397 et 503. Cf. Négociations avec la Toscane, t. V, p. 567.

7. Lettres missives, année 1607, t. VIII, p. 404-406.

8. Ibid., 28 mars 1608, t. VIII, p. 503-504 et 539.

9. Ibid., 13 et 26 mai 1608, t. VII, p. 551 et 558; Instructions à M. de Brèves citées plus haut (p. 35, n. 1), fol. 83 el 86; Histoire de Metz, t. III, p. 190.

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