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était heureux d'avoir quelque répit pour mieux le conseiller. Le lendemain, Bassompierre quitta Nancy avec le rhingrave Otto, prince de Salm, et, passant par Blamont, Saarbourg, Saverne, Strasbourg et Lichtenau', se rendit chez le margrave de Bade pour conférer des affaires de Clèves. Il passa ensuite quelques jours à Strasbourg et revint à Nancy vers le 20 août2.

A son retour, Bassompierre trouva de nouvelles instructions de Henri IV concernant en particulier les affaires de Clèves. L'empereur venait, en effet, de s'emparer de Juliers le 23 juillet et le roi voulait, par tous les moyens, empêcher la maison d'Autriche de s'y établir3. Dans ces conditions, il était naturel que Henri IV désirât obtenir l'appui du duc de Lorraine en cas de guerre; mais Bassompierre ne put obtenir de lui que la promesse d'observer la neutralité. Quant à la question du mariage de Nicole,

1. C'était l'itinéraire ordinaire. Cf. arch. de la Meurthe, B 1322, pour le voyage d'un Lorrain à Ingolstadt à la fin de juillet.

2. Bassompierre, t. I, p. 232-237. Quoique l'on ne trouve ailleurs aucune trace de sa mission en Allemagne, elle s'explique, et les dates permettent de l'établir. L'électeur palatin, le duc de Wurtemberg et le margrave de BadeDourlach, vers lesquels Bassompierre était envoyé après Bongars, s'efforçaient, en juillet 1609, d'assurer aux princes de Brandebourg et de Neubourg l'héritage de Clèves (Anquez, p. 162-163; Ritter, Briefe und Akten zur Geschichte des dreissigjaehrigen Krieges, t. II, p. 295 et 301). Le margrave de Bade, à qui Bassompierre devait s'adresser en particulier, avait été employé, dès le mois d'avril, par Henri IV, comme médiateur entre le duc de Deux-Ponts et le palatin de Neubourg; plus tard, il s'occupait, avec le margrave d'Ansbach, de concilier les princes de Neubourg et de Brandebourg (Ibid., p. 223-224, n. 1 et 3. Cf. Philippson, ouvr. cil., p. 340-341). Suivant Bassompierre, le margrave de Bade était resté dans ses États pour la cervaison; à cette occasion, l'électeur palatin était en Haut-Palatinat. Ce dernier était, en effet, le 10 août, à Friedrichsbühel, où il avait convié les princes de Bade et de Wurtemberg pour la cervaison, zur Hirschfaist (Ritter, t. II, p. 342, n. 1). Le 15, les trois princes y étaient réunis (Ibid., p. 341). Bassompierre vit le margrave un dimanche : c'était, évidemment, le 10, car le marquis comptait sans doute en Allemagne selon le calendrier grégorien, auquel sont rapportées les dates précédentes. D'après l'itinéraire, dont il nous donne le détail, son entrevue avec Henri Il doit donc être reportée au 2 août; comme il le revit « au bout de dix-huit jours » (p. 238), son retour à Nancy est du 20 au plus tard. Cependant, le récit du marquis contient une inexactitude assez grave. Le duc de Wurtemberg, qu'il ne vit pas, ne pouvait être aux noces du « marquis d'Anspach, » qui ne se maria qu'en 1612 (Allgemeine deutsche Biographie, t. XIV, p. 91). Bassompierre a, sans doute, confondu avec le mariage du duc de Wurtemberg, qui eut lieu le 5 novembre 1609 (Sattler, Geschichte des Herzogthums Wurtemberg, t. VI, p. 38), dont on devait parler déjà (Briefe und Akten, t. II, p. 347).

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3. Sur l'attitude de Henri IV à la fin de juillet et ses déclarations du 3 août à l'envoyé de l'archiduc de Flandre, voir Philippson, t. III, p. 346-350.

elle n'était nullement décidée. Pendant l'absence du marquis, Henri II avait passé une partie de son temps à en conférer avec le président Bouvet; mais il ne s'était arrêté à aucune résolution. Quand Bassompierre réclama une réponse définitive, ce fut à lui que le duc demanda conseil. L'ambassadeur répondit qu'en sa qualité de « procureur du roi » il ne saurait le conseiller, mais qu'il lui indiquerait toutes les réponses qu'on pouvait faire à sa proposition; le duc n'aurait qu'à choisir. La question pouvait être envisagée à un triple point de vue d'une part, l'intérêt de Nicole devait pousser Henri II à la marier au dauphin; de l'autre, le sien propre l'amenait à la même conclusion; celui de sa famille et de ses sujets pouvait seul faire hésiter le duc quoique, à le bien prendre, une telle alliance devait plutôt augmenter que diminuer la Lorraine. Bassompierre fit ressortir aux yeux de Henri II l'honneur et la sécurité que ce mariage apporterait à sa fille et à lui-même, aux princes de sa maison et au duché de Lorraine ; il lui fit remarquer que le mariage de Nicole avec le dauphin n'entraînerait pas la réunion de ses États à la France s'il lui survenait un fils, et que, même dans le cas contraire, il n'amènerait pas forcément l'absorption du duché dans le royaume. Les princes de Lorraine, reconnaissait l'ambassadeur, seraient sacrifiés; mais l'avenir de l'héritière du duc devait passer avant tout1.

C'était là, il faut le reconnaître avec Siri, d'assez piètres arguments pour décider Henri II à accepter le mariage qu'on lui proposait et les raisons de Bassompierre sentaient fort la rhétorique; mais l'ambassadeur, n'en pouvant invoquer d'autres, s'efforçait avant tout de rassurer l'âme égarée du duc. Si l'historien italien, dont la critique est toute de rhétorique, a raison de dire que le marquis s'efforçait de dorer la pilule par des paralogismes fallacieux », il exagère en ajoutant que ses exhortations étaient << si peu raisonnables que la bouche même d'un canon n'auroit pas été assez éloquente pour contraindre le duc à y prêter l'oreille3 » et il méconnaît le caractère de Bassompierre en affirmant que celui-ci prétendait agir par dévouement pour le

1. Bassompierre, t. I, p. 237-246.

2. Memorie recondite, t. II, p. 37-38. Ces observations critiques ne sont pas reproduites dans la traduction française.

3. Ibid. Traduit par Perrens, les Mariages espagnols sous le règne de Henri IV et de Marie de Médicis, p. 241.

REV. HISTOR. LXXVII. 1er FASC.

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duc et sa maison. Le marquis remplissait son rôle d'ambassadeur; tout en détaillant à Henri II les réponses qu'il pouvait faire, il se refusait à lui dicter celle que le duc eût peut-être acceptée1. C'est, du moins, ce qui ressort du discours que nous a laissé Bassompierre. On peut se demander, il est vrai, si ce morceau est authentique. Il est probable que non. L'auteur, qui se plaisait aux paradoxes et prétendait les soutenir mieux encore avec la plume que par la parole, a dû, en reprenant par écrit ses arguments, les amplifier. Il le fit sans doute assez longtemps après les événements; l'impression que ceux-ci laissèrent dans son esprit lui firent certainement mêler dans son récit aux raisons qu'il donna au duc d'autres qu'il n'avait pu dire, soit qu'il ne les prévît pas encore, soit qu'il fût de l'intérêt du roi de les tenir secrètes3. Quoi qu'il en soit, le fond de son discours doit être vrai.

Après avoir indiqué à Henri II les différentes réponses qu'il pouvait faire, Bassompierre lui montra quelles conséquences elles entraînaient. Dire à Henri IV « que les interests de la maison de Lorraine et le desir de perpetuer sa succession et ses Estats en sa mesme famille » l'empêchaient d'agréer sa proposition, était « un refus absolu », dont le duc devait naturellement se garder et qu'il pouvait adoucir en ajournant le mariage des deux princes, à cause de leur âge. Il y avait aussi deux manières d'accepter : l'une en priant le roi de traiter cette affaire « avecques toute sorte de secret et de silence » pendant que le duc s'efforcerait « de disposer ses sujets à l'agréer et ses parents à le consentir » ; l'autre << de recevoir au pied de la lettre l'offre du roy».

Devant ces quatre solutions, Henri II, de plus en plus per

1. Plus tard, dans son Advis important à l'ambassadeur touchant les circonstances les plus importantes qui dependent de sa charge, Bassompierre écrira : « Il se doibt conserver tant qu'il pourra sans soupçon vers ceux qu'il practique et ne point perdre l'occasion de leur faire entendre les bons offices qu'il leur prouve... Si l'affaire qu'il negocie est tres difficile, il ne la doibt point poursuivre ni opiniastrer» (bibl. de l'Arsenal, ms. 4529, fol. 228). Peut-être le marquis, dont le caractère devait rester foncièrement le même, observait-il déjà ces principes.

2. Histoire de ma vie, t. I, p. 253-254.

3. C'eût été donner un bien mauvais conseil à Henri II que de lui dire : « Vous estes obligė, par ce precedent refus, d'envoyer mesdames vos filles en Baviere pour en eslongner la proie» (Ibid., p. 247). C'est là, sans doute, une réminiscence du projet que les Espagnols devaient, l'année suivante, suggérer au duc, 4. Bassompierre, t. I, p. 246-248.

plexe, n'osait choisir; il penchait cependant vers la troisième qui, n'engageant rien définitivement, pouvait détourner de lui la colère de Henri IV, qu'il craignait d'exciter par un refus. Sans doute, cette détermination lui fut conseillée par le président Bouvet qui, si l'on en croit un historien lorrain, « se servit de l'apologue de l'homme qui ne craignoit pas de s'engager à peine de la vie de faire parler dans dix ans un âne devant un prince », pensant qu'avant ce temps la mort du prince, la sienne ou celle de l'âne lui seroit une excuse legitime pour se degager1». Deux jours plus tard, Henri II répondit à Bassompierre « qu'il estoit tout resolu de se conformer aux volontés du roy et recevoir l'honneur qu'il lui vouloit faire, seulement desireroit-il de gaigner et disposer les principaux de son Estat pour leur faire gouster ce mariage, et le pallier cependant a ses parans jusqu'a ce qu'il fut temps de le descouvrir, suppliant humblement Sa Majesté de le vouloir cependant tenir secret ». Sur les instances du marquis, Henri II lui donna une réponse écrite, malgré la répugnance qu'il témoignait à s'engager. Muni de cette lettre, Bassompierre revint aussitôt trouver le roi. Henri IV « fut extraordinairement satisfait du bon succès» de l'ambassade2. Il devait bientôt en témoigner sa reconnaissance au président Bouvet 3.

Suivant l'historien de Charles IV, « aussitôt après le retour de Bassompierre à Paris », Henri IV aurait envoyé à Nancy M. de Bullion pour arrêter les articles du mariage et le duc y aurait consenti, par crainte des armes du roi'. Si cette ambassade a eu lieu, rien n'en a subsisté. S'agit-il de ce Bullion qui s'était occupé de la juridiction royale à Verdun ou de celui qui fut dépêché en Savoie à la fin du mois d'octobre? Nous ne le savons pas. L'ambassadeur chargé de négocier à Turin le mariage de la fille aînée de Henri IV avec le fils de PhilibertEmmanuel pouvait fort bien passer par Nancy et être chargé, vis-à-vis du duc de Lorraine, d'une commission semblable; mais

1. Histoire de Charles IV, par Guillemin (bibl. municipale de Nancy, ms. 127, fol. 10). Guillemin, qui écrivit dans la seconde partie du XVIIe siècle, a dû recueillir des témoignages de contemporains des événements.

2. Bassompierre, t. I, p. 248-251. Le marquis arriva sans doute à Paris dans les premiers jours de septembre, date des événements qu'il rapporte après son ambassade.

3. Lettres missives du 14 octobre 1609, t. VII, p. 783.

4. Guillemin, ms. cit., fol. 9 v°.

nous n'en trouvons aucune trace dans ses instructions1. D'ailleurs, la proposition qu'il aurait faite à Henri II n'eût pas été motivée puisque, d'après sa réponse même, le duc de Lorraine ne s'était engagé à rien pour le moment. Le témoignage de Guillemin est, en outre, en opposition formelle avec celui de Fontenay-Mareuil, qui rapporte à l'année suivante le projet de contrat2. « On ajoute », continue l'auteur lorrain, « que, pour rendre l'alliance plus forte et plus assurée, l'on arrêta en même temps le mariage du duc d'Orléans avec la princesse Claude », seconde fille de Henri II. « Mais, reprend-t-il, comme on n'a pas vu ces articles, on ne peut les rapporter ici3. » Nous pouvons donc rejeter ce récit que tout contredit. Selon le même historien, ces unions se seraient faites malgré l'Espagne, car, dit-il, l'irrésolution de Henri II venait de ce que le roy d'Espagne, Philippe III, qui trouvoit la Lorraine autant à sa bienseance que le roi de France, avoit pris le mesme expedient pour s'en asseurer, et avoit fait, quinze jours auparavant, proposer le mariage de l'infant Philippe IV avec la princesse Nicole1 ». Il y a là encore une confusion avec les événements de l'année suivante.

L'Espagne, en effet, n'avait pas devancé la France en Lorraine; mais Philippe III n'allait pas tarder à être informé des projets de Henri IV sur le duché. Les conseils que Henri II avait sans doute demandés en Lorraine au comte de Torniel, en France à Chanvallon et peut-être à ses parents et alliés de l'étranger, quelques mots sans doute échappés à Henri IV qui, le 17 octobre, confiait son << secret » au maréchal de Lesdiguières, les espérances que les ministres du roi pouvaient fonder d'eux-mêmes sur un mariage dont le projet leur avait été soumis un an auparavant et que la mauvaise santé de Henri II pouvait, à ce moment, rendre réalisable, tous ces faits et peut-être des indiscrétions voulues avaient évidemment excité la défiance des diplomates espagnols. Le 30 septembre, l'ambassadeur de Philippe III à la cour de France, don Iñigo de Cardenas, écrivait à son

1. « Instructions à M. de Bullion s'en allant en Savoye... Faict à Fontainebleau, le 23 octobre 1609» (Bibl. nat., ms. fr. 24917, fol. 172-177).

2. Mémoires de Fontenay-Mareuil, éd. Michaud et Poujoulat, p. 11. 3. Ms. cit., fol. 9 v° et 10.

4. Ibid., fol. 9.

5. A cette époque, du 15 août au 15 septembre 1609, Henri II envoya de nombreux courriers en Lorraine, en France, au duc de Bavière, son beau-frère, et à celui de Mantoue, son beau-père (arch. de la Meurthe, B 1317, fol. 272-275).

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