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maître « Le duc de Lorraine vient de tomber malade, le bruit court ici que c'est grave; le Roi de France compte s'emparer du duché, s'il meurt ». Henri IV, ajoutait-il, s'occupait de cette affaire avec beaucoup de résolution et s'efforçait de faire rompre tous liens d'alliance entre la Lorraine et l'Espagne. Le mariage du dauphin avec l'héritière du duché devait servir de prétexte pour envahir la Lorraine; le roi justifierait ses droits en s'emparant de la princesse. Cependant, remarquait l'ambassadeur, l'affaire ne paraissait pas réussir au gré de Henri IV. L'Espagne pouvait ainsi prévenir immédiatement les projets du roi de France Cardenas, prenant les devants, en avait déjà averti l'archiduc de Flandre1. Philippe III ordonna à son agent d' << envoyer immediatement en Lorraine une personne de confiance pour représenter au duc les intentions du Roi de France », lui conseiller la plus grande prudence, enfin l'assurer de la protection du roi d'Espagne et de ses ministres. Cardenas était prié d'agir << en grand secret et avec dissimulation2 »; après avoir mûrement choisi son envoyé, il devait le dépêcher d'abord au comte de Torniel que Philippe III avait su apprécier dans une récente ambassade3.

De son côté, Henri IV agissait en Lorraine; selon Cardenas, il avait fait distribuer dix mille écus dans le duché et en avait offert à l'agent du duc résidant à Paris, c'est-à-dire à Chanvallon, une pension de quatre mille pour faire accepter par l'opinion le mariage qu'il proposait; enfin, il engageait avec Henri II d'actifs pourparlers au sujet des frontières de ses États. Le roi de

1. Arch. nat., K 1461 bis, pièce 85, reproduite dans les Briefe und Akten de Ritter, t. II, p. 430.

2. [Con] mucho el secreto y dissimulaçaon », délibération du Conseil d'État; con sumo secreto y recato », lettre du roi.

3. Lettre du 9 novembre 1609 (Arch. nat., K 1452, pièce 87). Cette lettre reproduit à peu près la délibération du 27 octobre, imprimée en partie dans les Briefe und Akten, t. II, p. 430. Ritter avance à tort, p. 539, que, après la première lettre de Cardenas, Philippe III envoya en Lorraine le duc de Feria. Les instructions de cet ambassadeur, publiées par Perrens, ouvr. cit., p. 224, n. 1, reproduisant d'ailleurs textuellement une dépêche d'avril 1610, n'ont été expédiées qu'après la mort de Henri IV: on y trouve la phrase « el rey de Francia defuncto »>. Le comte de Torniel, que Perrens, p. 213, et parfois Ritter écrivent Forniel, en dépit des originaux très lisibles, avait été envoyé comme ambassadeur en Espagne en 1608 et en 1609 (arch. de la Meurthe, B 1317, fol. 258, et B 1326, fol. 250 v°).

4. « Este Rey... a terrido muchas quexas del duque de Lorena, assi en materias de confines. >>

France était donc en bonne voie et peut-être Henri II eût-il accédé à ses désirs s'il n'eût trouvé dans sa famille l'opposition qu'il redoutait tant. La proposition du mariage français, connue de l'Espagne, avait dû être de bonne heure divulguée en Lorraine. Dès que le duc de Vaudémont l'eut appris, il s'y opposa brutalement. « Par l'intermédiaire d'un évêque1», disait Cardenas, il avait sommé son frère de marier son propre fils, Charles, à l'héritière du duché pendant que, de son côté, Henri IV le pressait de la donner au dauphin.

Les Espagnols étaient bien renseignés. Au commencement du mois d'octobre, le duc d'Épernon vint à Nancy conférer avec Henri II des<< limites de ses pays et du pays messin ». Le jour où il devait arriver, François de Vaudémont avait fait courir le bruit que le gouverneur de Metz était envoyé « avec charge de demander de la part du Roi, en mariage pour Monseigneur le Dauphin, Madame la princesse de Lorraine ». « Avant que personne n'entrast dans la chambre » de Henri II, il avait envoyé auprès de lui le primat de Nancy, M. de Lenoncourt, qui avait rang d'évêque, « pour l'en advertir et luy proposer de faire le mariage ce matin là, affin qu'il eust une honneste excuse... de n'accorder pas la demande » de d'Épernon. De cette proposition, Henri II<< ne se mocqua pas seullement, mais s'en scandalisa bien fort, disant que l'on luy voulloit bailler un tuteur, ce qu'il ne voulloit nullement ». Le comte de Vaudémont, « demeuré fort estonné de cette response », écrivait d'Épernon au roi, « faict estat d'aller trouver Vostre Majesté dans peu de jours », sous un prétexte quelconque, en réalité, « pour supplier Vostre Majesté de la seconder aupres de son Altesse de Lorraine en ce mariage pretendu2 ». Il semble, en effet, que François vint à la cour et qu'il témoigna son mécontentement à Henri IV3.

1. Por medio de un obispo. » Dépêche du 29 novembre 1609 (Arch. nat., K 1461 bis, pièce 137), reproduite dans les Briefe und Akten, t. II, p. 489-490. 2. Lettre du duc d'Épernon au roi, 18 octobre 1609 (Bibl. nat., coll. Dupuy, t. 492, fol. 14).

3. Suivant les Mémoires de Fontenay-Mareuil, t. I, p. 16, le comte de Vaudémont montra publiquement son ressentiment à propos du duc de Vendôme. Malgré l'affection qu'il portait à son bâtard, Henri IV dut céder à François, car il le vouloit flatter, pour lui faire souffrir plus patiemment le mariage de M. le daulphin avec la princesse de Lorraine, sa niece, auquel M. de Vaudemont avoit jusques là pretendu. » Nous ignorons si ce fait eut lieu à la fin de 1609 ou au commencement de l'année suivante.

D'autres renseignements permettent de compléter le récit du duc d'Épernon. Suivant l'historien lorrain Guillemin, le comte exigeait de son frère une réponse immédiate. Henri II, se voyant à peu près engagé du côté de la France, lui répondit assez froidement que leurs enfants étoient encore trop jeunes pour les marier et que, quand sa fille seroit en âge, il le consulteroit le premier sur le choix de l'epoux qu'il voudroit lui donner »; François aurait répliqué au duc « que s'il pretendoit marier sa fille à quelqu'un d'autre qu'au prince de Lorraine, il lui disputeroit la couronne jusqu'a la derniere extremité et que toute sa maison periroit avec ses fils plutôt que la souveraineté passât dans un[e] autre1 ». Telles étaient, en effet, les dispositions du comte de Vaudémont2. Elles allaient mettre Henri II en fâcheuse posture.

III.

Henri IV s'efforçait d'amener le duc de Lorraine à accepter ses propositions, parce qu'il était complètement décidé à la guerre. A la fin du mois d'août, on pouvait croire encore qu'il n'en viendrait pas aux armes3; au commencement de l'automne, il devenait impossible d'en douter. Sur les conseils de Sully et de Lesdiguières, le roi avait consenti, au mois de septembre, à recevoir les ouvertures du duc de Savoie, mécontent de Philippe III; à la fin d'octobre, Bullion allait à Turin s'entendre avec Philibert-Emmanuel'. A ce moment, Henri IV venait de déclarer au pape sa résolution de soutenir les princes protestants d'Allemagne. Il paraissait bien disposé à la guerre. Un événement d'ordre intime allait encore précipiter la résolution de Henri IV et le pousser définitivement dans cette voie pour n'en plus sortir. Ce fut la fuite du prince de Condé (29 novembre 1609).

1. Bibl. de Nancy, ms. 127, fol. 11.

2. Voir plus bas, p. 61.

3. Lettre du 28 août 1609 (Négociations avec la Toscane, t. V, p. 594).

4. Bassompierre, t. I, p. 265-266, et Instructions du 23 octobre, citées plus haut, p. 52, n. 1.

5. Instructions au cardinal de la Rochefoucauld, 16 octobre 1609 (coll. Brienne, t. 288, fol. 380). Cf. Philippson, t. III, p. 359.

6. Bassompierre, t. I, p. 261.

En cas de guerre, Henri IV avait besoin de l'appui des princes protestants d'Allemagne, et ceux-ci ne paraissaient guère se soucier de lui1. Avant d'agir, le roi voulait savoir s'il serait secondé. Les princes de l'Union évangélique devaient s'assembler à Hall, en Souabe, dans les premiers jours de l'année 1610; Henri IV en profita pour leur rappeler qu'ils étaient intéressés, au moins autant que lui-même, à soutenir les héritiers protestants à la succession de Juliers. Il choisit pour cela un ancien ambassadeur en Angleterre, M. de Boissise, qui reçut ses instructions le 29 décembre. Boissise devait, en passant, visiter le duc de Lorraine et le comte de Vaudémont, leur faire part de l'objet de sa mission et les engager à se déclarer en faveur de Henri IV; il était également chargé de présenter ses hommages à Marguerite de Gonzague et à sa belle-sœur, la duchesse de Clèves, qui, depuis l'occupation de Juliers, s'était réfugiée auprès de son frère Henri II, et de visiter la jeune héritière de Lorraine si elle était à Nancy 2.

L'ambassadeur arriva le 10 janvier 1610 dans la capitale du duché; Henri II le reçut le lendemain. Boissise lui déclara que son maître était décidé à soutenir les protestants contre les prétentions émises sur la succession de Clèves par la maison d'Autriche, mais qu'il ne demandait qu'à tout régler à l'amiable. Le duc l'approuva; il redoutait la guerre, croyant les forces des princes possédants beaucoup plus considérables que celles de l'archiduc Albert, et venait d'apprendre une attaque des Impériaux contre Clèves. L'ambassadeur lui fit alors observer que l'établissement des Autrichiens à Juliers à la place des vrais héritiers pourrait être préjudiciable à son duché et ajouta que, pour cette raison, le roi l'engageait à se joindre à sa cause; cette fois, Henri II ne répondit rien. Boissise évita de le presser et se contenta de la promesse que lui fit le duc d'en écrire directement à Henri IV. Il vit ensuite les duchesses de Lorraine et de Clèves et <<< la petite-fille du duc qui, écrivait-il au roi, est jolie et belle, ce

1. Anquez, p. 172.

2. Instruction donnée à M. de Boissise allant en Allemagne pour la journée de Halle, en l'an 1609 (Mesmoires d'Estat recueillis de divers manuscrits, ensuite de ceux de M. de Villeroy, éd. in-12, 1665, t. III, p. 248-254). Des copies meilleures se trouvent à la Bibl. nat., fonds Colbert Ve, t. 107, fol. 123-131, et fonds Dupuy, t. 927, fol. 126-142. Cette dernière est datée du 29 décembre, ce qui concorde parfaitement avec les dates des lettres de Boissise.

qui se peust»; mais ne put approcher du comte de Vaudémont, qui s'excusa, sous prétexte de maladie1. Le soir même de son entrevue, Boissise partit pour l'Allemagne, où, un mois après, il devait conclure avec les princes de l'Union la ligue offensive et défensive de Hall (11 février 1610).

Peu après le départ de Boissise, Henri II envoya au roi une lettre où il m'a assuré, disait Henri IV, que je recevray de luy et de ses Estatz aux occasions qui s'offrent toute l'assistance que je puis desirer de son amitié ». Le bon duc y disait ingénuement << qu'il a fait esperer aux ambassadeurs de l'Empereur, de la maison de Saxe3 et des autres princes de la Germanye qui l'ont visité sur le subject des diferens de Cleves qu'il ne s'entremettra que pour moyenner et favoriser quelque accord amiable entre les parties ». Aussi Henri IV pensait-il que les princes de l'Union n'auraient pas à se plaindre du duc. « Toutesfois, ajoutoit le Roi, si je veux qu'il en use autrement, il m'a faict dire qu'il preferera mes conseils et mon contentement à toute autre consideration'. » Henri IV se fiait à cette déclaration, pourtant si vague, du Lorrain. Il avait tort. La missive du duc lui avait été remise par Chanvallon le 31 janvier5; deux jours plus tard, il recevait seulement la lettre que Boissise lui avait écrite le 11; ce retard, évidemment calculé, venait de Marainville, le secrétaire du duc, qui s'estoit offert de l'envoyer en diligence ».

Les alliés de Henri IV n'étaient pas aussi satisfaits que lui du duc de Lorraine. A l'Union évangélique les catholiques avaient répondu par la formation d'une Ligue catholique, formée en dehors de l'empereur, mais avec l'appui du roi d'Espagne et du

1. Lettre de Boissise au roi, datée de Saint-Nicolas, 11 janvier 1610 (coll. Godefroy, t. 289, fol. 89. Original).

2. Anquez, p. 178-179.

3. L'électeur de Saxe était le seul prétendant protestant à la succession de Juliers qui fût allié de l'empereur et soutenu des catholiques. Henri IV devait s'efforcer vainement de l'attirer à lui (Philippson, t. III, p. 421-422).

4. Henri IV à Boissise, 12 février 1610 (coll. Dupuy, t. 765, fol. 24 vo). 5. Chanvallon n'emportait-il que des lettres? « J'ai trouvé les peaux d'Espagne et les gans que M. de Chanvallon m'a apportez de vostre part tres excellens », écrivait Marie de Médicis à Henri II au début de 1610 (fonds Colbert Vc, t. 88, fol. 16). Ne peut-on supposer qu'il s'agit de papiers ou de parchemins concernant l'ambassadeur d'Espagne à propos du mariage de Nicole?

6. Ibid. et Boissise au roi, 2 mars 1610 (coll. Godefroy, t. 265, fol. 113. Original).

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