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Henri IV aurait voulu avoir le passage libre à travers la Lorraine; Henri II, retranché derrière sa neutralité, s'y refusait. C'est sans doute pour marcher, en cas de besoin, par le Luxembourg que, dès le début de l'année, le roi essayait d'occuper Mars-la-Tours, entre Verdun et Metz; au mois d'avril, ses agents s'efforçaient d'y parvenir; mais le duc résistait1. Cette attitude et les secours que Henri II accordait indirectement aux Impériaux avaient dû éveiller les inquiétudes de Henri IV; le roi, s'il ne connaissait pas l'action de l'Espagne en Lorraine, n'était certes pas sans la soupçonner. La nouvelle de l'envoi éventuel de Nicole en Bavière? montra à Henri IV la nécessité de surveiller le duc.

Par une lettre du 4 avril, le roi avait informé son neveu de l'envoi de ses troupes sur ses frontières3; quelques jours après, il envoya auprès de lui M. de la Clielle en qualité d'ambassadeur résident. Le maître d'hôtel chargé deux ans auparavant de négocier le mariage du duc de Vendôme devait, cette fois, demeurer en Lorraine pour conférer avec Henri II, observer ses agissements et en avertir Henri IV. Après avoir remercié le duc de la réponse qu'il avait donnée à son maître sur son attitude dans la querelle de Juliers, La Clielle lui rappellerait les desseins du roi Henri IV ne voulait favoriser les héritiers protestants ni au préjudice de la religion catholique, ni à celui de l'autorité de l'empereur, ni à celui de la paix générale, comme le prouvaient les démarches que Boissise faisait en son nom auprès des électeurs ecclésiastiques et des autres princes catholiques d'Allemagne. L'ambition de la maison d'Autriche qui occupait Juliers, l'hostilité que lui témoignait Philippe III en secourant Condé poussaient Henri IV à la guerre, et il n'avait pas à se louer des catholiques d'Allemagne, dont la ligue n'avait de religieux que le prétexte. Cependant, il y avait peut-être un

1. Lettre de Henri II à Sillery, 17 avril 1610, où, suivant le duc, « trois mois auparavant les partisans du roi publient le résultat de leurs entreprises. 2. Instruction pour le sieur de la Clielle «< allant trouuer le duc de Lorraine pour resider en qualité d'ambassadeur auprès de luy pour le commandement et pour le service de Sa Maiesté » (Annales de l'Est, t. XV, p. 107).

3. Ibid., p. 98, n. 4.

4. Sur la date de cette ambassade, qui est certainement postérieure au 5 avril et que nous attribuons au 10 de ce mois, voir Ibid., p. 109, n. 1. Dans les Briefe und Akten, t. III, p. 162, elle est, sans raison, datée du mois

de mars.

moyen de tout concilier. Le roi d'Espagne, reprenant les visées de Charles-Quint et de Philippe II à la domination universelle, voulait se faire nommer roi des Romains; par haine contre ses frères, l'empereur Rodolphe II était porté à l'appuyer. Henri IV, qui disposait des électeurs protestants, proposait d'opposer à Philippe III le beau-frère du duc de Lorraine, Maximilien de Bavière. Il s'attirerait ainsi les sympathies des catholiques. Tout en faisant cette ouverture à Henri II, le roi le priait « de tenir cette proposition si secrette que nul autre que luy n'en ayt connoissance » de peur d'offenser la maison d'Autriche ou les princes de l'Union. Il fallait se ménager la première; quant aux autres, on les déciderait « en accordant la querelle de la succession de Cleves » en leur faveur.

pas

Telles étaient les clauses de politique générale dont La Clielle devait s'entretenir avec Henri II; elles comprennent presque toute l'instruction1. Des questions pendantes entre le roi et le duc, il était peu question. Henri IV faisait reluire aux yeux de son neveu l'importance de ses armements; mais il ne parlait de l'appui que le duc eût pu lui donner, soit en défendant à ses sujets de s'armer, soit en livrant le passage à travers la Lorraine. Toutefois, La Clielle devait faire savoir à Henri II que le projet d'envoi de Nicole en Bavière était connu; mais c'était là, dirait-il, un bruit sans fondement auquel le roi ne croyait pas. La Clielle n'en devait pas moins rechercher si de tels propos avaient été tenus, s'en plaindre au duc en l'avertissant que de tels projets ne pouvaient venir que de sujets rebelles et en avertir Henri IV3. Il avait encore à demander å Henri II de lever pour le roi, comme cela se faisait sous Charles III, une compagnie de cent hommes d'ordonnance que le duc choisirait à son gré1. Ces arrangements faits avec Henri II, La Clielle devait visiter tous les princes et toutes les princesses de la cour de Nancy et « faire tous offices necessaires » envers les conseillers et les serviteurs du duc pour les bien disposer en faveur de Henri IV. Il avait ordre de correspondre avec les autres ambassadeurs, et en particulier avec Boissise, avec les

1. Annales de l'Est, t. XV, p. 99 à 107.

2. Ibid., p. 103.

3. Ibid., p. 107-108.

4. Ibid., p. 108.

5. « J'envoye mon maistre d'hostel La Clielle en Lorraine pour y resider...

gouverneurs des trois évêchés et des villes de la frontière. Il devait enfin advertir soigneusement » le roi de tout ce qu'il apprendrait d'important, en se servant « du chiffre et du gergon qui lui avaient été spécialement donnés1.

«

Dans ces conditions, Henri IV se croyait sans doute assuré du succès. Cependant, le moyen qu'il cherchait pour s'emparer de la route de Metz ne réussissait pas : Henri II, déclarant qu'il était traité non comme un serviteur, mais comme un ennemy du Roy», se plaignait amèrement au chancelier Sillery des entreprises que les Français continuaient à poursuivre dans ses États. Tout en faisant juger de la possession de Mars-la-Tour par sa cour de Saint-Mihiel, le duc prétendait que cette position n'était d'aucune utilité pour Henri IV, protestant, si elle lui était nécessaire, de la « luy mestre es mains » avec de meilleures que le roi trouverait « au besoin de son service? ». Henri IV jugea plus sage de s'adresser à l'archiduc Albert pour faire avancer son armée par la vallée de la Meuse3. Par crainte d'hostilités, l'archiduc lui accorda le passage à travers le Luxembourg. Les troupes royales étaient prêtes à marcher; Henri IV, retardė au dernier moment par le sacre de la reine (13 mai), allait immédiatement quitter Paris pour aller se mettre à la tête de son armée.

Quels étaient, à ce moment critique, les dispositions de Henri II et les desseins du roi sur la Lorraine? Nous ne les connaissons point d'une façon certaine; mais on peut les reconstituer. Au

Il aura bonne correspondance avec vous comme vous l'entretiendrés avec luy. » Henri IV à Boissise, 5 avril 1610 (coll. Dupuy, t. 745, fol. 44). Malheureusement, dans la correspondance de Boissise, nous ne voyons pas qu'il ait reçu de lettres de La Clielle.

1. Annales de l'Est, t. XV, p. 108-109.

2. Lettre citée plus haut, p. 63, n. 1. Il dut y avoir, sur la frontière de Lorraine et des pays de protection, mainte protestation au sujet du passage et du séjour des troupes royales. D'après le « Rapport de Jean Widemot, soldat de la garnison de Clermont chargé d'aller s'encquerir aupres de M. de Nubecourt touchant une compagnie de carabiniers françois qui avoient été logés à Nubecourt, 4 mai 1610, » les soldats, cherchant un gîte, avaient été empêchés, le 3, d'aller loger à Souilly, nüe proprieté de Son Altesse, » et envoyés à Nubécourt, le seigneur du lieu ajoutant « que les habitants... n'avoient que faire de se plaindre, qu'ils en verroient bien d'autres (coll. de Lorraine, t. 489, fol. 69).

3. Lettres missives du 8 mai 1610, t. VII, p. 895-896.

4. D'Aumale, ouvr. cil., t. I, p. 839.

REV. HISTOR. LXXVII. 1er FASC.

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milieu du mois de mai, le duc était avec son frère aux eaux de Plombières; mais il devait, dans quelques jours, se diriger sur Bar-le-Duc1. Sans doute, Henri II n'attendait pour se mettre en route que la nouvelle du départ de Henri IV pour la Champagne, car il devait se défier du roi. L'envoi de La Clielle, sur l'ambassade duquel nous n'avons aucun renseignement, avait peut-être incité le duc à la prudence. Peut-être aussi Henri II observa-t-il mieux qu'auparavant la neutralité qu'il avait promis de garder. Tout ce que nous savons, c'est que Nicole ne fut pas envoyée en Bavière; mais la retraite de la cour à Plombières, au milieu des Vosges, avait peut-être pour objet d'éloigner l'enfant pour la soustraire à toute tentative d'enlèvement.

Quant à Henri IV, il voulait évidemment contraindre son neveu à accorder le mariage du dauphin avec Nicole, et, à défaut du consentement du duc, enlever sa fille par un coup de force. Si l'on en croit Fontenay-Mareuil3, ce mariage enfin conclu nonobstant toutes les oppositions du Roy d'Espagne et de toute la maison de Lorraine... De sorte qu'au même temps que le Roy seroit parti de Paris, un ambassadeur seroit allé à Nancy pour signer le contract de mariage; après quoy, M. et Mme de Lorraine eussent amené la princesse à Châlons pour estre nourrie auprès de la Reine en attendant que le mariage se peust consommer ». Nous ne saurions accepter complètement ce témoignage. La Clielle, qui fut évidemment le dernier ambassadeur envoyé en Lorraine par Henri IV, n'était, ses instructions en font foi, chargé de préparer aucun arrangement de ce genre'; d'ailleurs, les dispositions de Henri II ne l'eussent guère favorisé. Il est vrai que le roi devait désirer faire élever Nicole à la cour5; sans doute, Marguerite de Gonzague ne s'y fût

1. Lettres de Marainville à Henri II, 17 mai 1610, et à Voillot, 25 mai (coll. de Lorraine, t. 532, fol. 5 et 9).

2. Lettre du nonce Ubaldini, 12 mai 1610 (Bibl. nat., ms. ital. 1265, fol. 308). Peut-être était-il déjà question d'une semblable mesure quand Cardenas fit avertir Henri II par le religieux.

3. Mémoires, p. 11.

4. Le roi pouvait, il est vrai, envoyer un député extraordinaire, et il serait permis de croire avec Digot (Histoire de Lorraine, t. V, p. 15) que Bullion fut alors choisi si, pour avancer ce fait, Digot ne s'appuyait sur Guillemin, qui, nous l'avons vu, place l'envoi de Bullion en 1609.

5. C'était le procédé qu'avait proposé d'employer Henri IV avec Mlle de Mercœur,

pas opposée1. De plus, Fontenay-Mareuil, qui paraît avoir connu les pièces officielles, affirme que, « par le traicté, le Roy devoit, entre autres choses, conserver l'ancienne chevalerie dans ses privileges2 », ce qui eût été un excellent moyen de se ménager la noblesse lorraine. Ce traité a pu exister sur le papier; nous y verrions volontiers les derniers projets de Henri IV, ceux qu'il avait l'intention d'exécuter en allant se mettre à la tête de son armée; mais il n'y eut pas d'acte officiellement conclu entre les deux souverains. Peut-être le roi qui, dans quelques jours, allait se rendre en Champagne3, en avait fait pressentir Henri II; en cas de refus, il eût sans doute essayé de s'emparer de l'héritière de Lorraine, peut-être en occupant le duché. Telles étaient, croyons-nous, les intentions de Henri IV quand son << grand dessein » s'évanouit avec lui sous le poignard de Ravaillac (14 mai 1610).,

La crainte régnait alors en Lorraine comme dans l'Europe entière. Devant l'incertitude des événements, Henri II tremblait. L'assassinat du roi, loin d'arrêter ses alarmes, parut les fortifier. A la nouvelle de la mort de Henri IV, le bailli des Vosges, M. de Lenoncourt, songea « à pourveoir à la frontiere » comme avait fait Charles III après l'assassinat de Henri III. Le maréchal du Barrois, Maillane, pria le duc de revenir au plus vite de Plombières << pour se rendre plus util au service de la Royne et du Roy present3»; mais c'eût été là un rôle digne de Charles III; Henri II demeura dans les Vosges. Il fallut les avis de Marainville, alors à Paris, pour rassurer le duc et ses conseillers. La

1. Elle avait menacé Henri II de conduire elle-même Nicole en France. Voir plus haut, p. 61.

2. Mémoires, p. 11.

3. La dernière indication que Henri IV nous donne lui-même de ses projets est dans sa lettre à Boissise, du 2 mai, datée de Paris : « Je fais estat de partir de cette ville le xx du present pour m'acheminer en mon armée qui est en Champaigne (coll. Dupuy, t. 765, fol. 55).

4. Lettre au duc, 18 mai 1610 (coll. de Lorraine, t. 489, fol. 65).

5. Lettre du 17 mai, publiée dans le Journal de la Société d'archéologie lorraine, année 1893, p. 25. Nous croyons que le Maillane dont il s'agit est le conseiller du duc et non l'évêque de Toul, comme l'avance l'éditeur de cette pièce. A Paris, on croyait que Henri II devait venir à Bar le 25 mai (lettre de Marainville à Voillot, coll. de Lorraine, t. 532, fol. 9).

6. Il y était encore le 5 juin, d'après une lettre qu'il écrivait à Voillot (coll. de Lorraine, t. 14, fol. 76).

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