網頁圖片
PDF
ePub 版

de garantie aux porteurs de mandats territoriaux. A la première réunion de l'assemblée administrative du département, le 3 novembre 1790, le président, M. Herbouville, mentionnait au nombre des attributions de cette assemblée celle de « faciliter la vente des biens nationaux. » Le procureur général syndic du directoire départemental et les membres de la commission chargée par l'assemblée administrative de tout ce qui concernait les biens nationaux considéraient comme une œuvre très importante la part qu'ils devaient prendre à la liquidation des biens nationaux.

Dès le commencement de novembre, toutes les opérations préparatoires étaient en activité, et le procureur général syndic annonçait « sous peu de jours » la réception des enchères qui devaient précéder l'adjudication des biens. Dès le 6 décembre, l'Assemblée constituante rendait les premiers décrets autorisant les soumissions des municipalités. Jusqu'au 15 mai 1791, trente-sept décrets autorisèrent pour la Seine-Inférieure un nombre égal de soumissions. Dix-huit de ces soumissions furent passées au compte de la municipalité de Rouen, portant sur un total de 21,400,000 livres en assignats, soit 19,050,000 livres valeur réelle. Le Havre soumissionnait en une fois pour 2,545,469 livres en assignats; Dieppe en deux fois pour 1,330,052 livres en assignats. Au total, pour ces trois municipalités, 25,246,124 livres. Seize autres municipalités du département avaient soumissionné pour une somme totale de 5,048,975 livres en assignats.

Dans un rapport du 15 novembre 1791 à l'Assemblée administrative du département de la Seine-Inférieure, le procureur général syndic évaluait la totalité des biens nationaux du département, « d'après les estimations comparées aux ventes déjà faites, » à 57,762,023 livres. Au 34 octobre 1794, il en avait déjà été vendu pour 32,808,954 livres, dont 30,295,099 livres aux municipalités et 2,543,855 livres aux particuliers en vertu de la loi du 20 août 1790, autorisant la vente directe sans l'interposition des municipalités. Du 31 octobre 1794 à la fin de la vente, les particuliers acquirent pour 37,438,770 livres assignats. La vente des biens nationaux produisit au total dans notre département 70,247,734 livres assignats, ce qui ne représente que 43,000,000 en argent, étant donné la dépréciation du papier-monnaie. Financièrement, la vente des biens nationaux fut une opération manquée, et, malgré les immenses ressources qu'elle procura au trésor, la Révolution n'en aboutit pas moins à une «< hideuse banqueroute. » Comme mesure politique, la vente des biens ecclésiastiques eut un plein succès, elle s'accomplit parfaitement et fut définitive. Mais, ainsi qu'on l'a si souvent répété, a-t-elle fondé en France la petite propriété ?

Pas dans le district de Caudebec au moins et cela pour deux raisons parce que, comme nous l'avons vu, la propriété ecclésiastique y tenait peu de place, et que, comme nous l'allons voir, les biens nationaux tombèrent en majeure partie aux mains de bourgeois déjà propriétaires fonciers.

Un coup d'œil superficiel laisserait croire que la vente avait donné naissance à un grand nombre de petites propriétés et que le vœu de l'Assemblée constituante s'était réalisé. Les 3,630 hectares de biens ecclésiastiques du district de Caudebec firent en effet l'objet de 900 adjudications auxquelles prirent part 462 acheteurs, ce qui représente une moyenne de 4 hectares par adjudication, de deux adjudications et de 7 hectares 70 par acquéreur. Mais une analyse de la vente des biens ecclésiastiques montre combien sont factices ces moyennes grossières. Sur 900 adjudications, 60 à peine furent d'une tenure sensiblement égale à la moyenne générale de 4 hectares. On en trouve de moins de 51 centiares (une perche); une atteignit 215 hectares (380 acres), trois propriétés de plus de 100 hectares, 22 de plus de 30 hectares furent vendues sans être morcelées. Ces 26 adjudications, soit 2,88 0/0 du total des adjudications, comprenaient 1,610 hectares, soit 44,70 0/0 de la superficie totale des terres vendues et contenaient en moyenne 62 hectares. Les 874 adjudications restantes, soit 97,22 0/0, se partageaient 2,020 hectares, soit 55,30 0/0 de la superficie totale, ce qui ne donne plus qu'une moyenne de 2 hectares 08 pour la presque totalité des adjudications, soit près de moitié moins de la moyenne générale. Encore y avait-il une vingtaine d'adjudications de 10 à 30 hectares et une soixantaine de 10 à 4 hectares. 750 adjudications environ comprenaient de 1 à 4 hectares (la majorité d'entre elles avaient une superficie allant de 1 à 2 hectares); 50 adjudications n'atteignaient pas 1 hectare.

La moyenne de deux adjudications par acquéreur est tout aussi factice que celle de 4 hectares par adjudication. Un cinquième à peine des acquéreurs (19,40 0/0) prit part exactement à deux adjudications. Plus de 57 0/0 des acquéreurs (264 sur 462) n'ont pris part qu'à une adjudication; 135, 29 0/0, ont pris part à 2 ou 3 adjudications; 52 acquéreurs, 11 0/0, à un nombre d'adjudications allant de 4 à 9; 11 acquéreurs, 2,30 0/0, à 10 adjudications et plus, en moyenne à 17, et 3 acquéreurs, sur ces 14, ont prit part respectivement l'un à 24, l'un à 27, l'un même à 40 adjudications. Les 57 0/0 des acquéreurs qui n'ont acheté qu'une fois ont absorbé 29 0/0 du total des adjudications. Les 135 acquéreurs, 29 0/0, qui ont acquis deux ou trois fois, 35 0/0 des adjudications. Les 52, 11 0/0, qui

ont acquis de quatre à neuf fois, 26 0/0; les onze plus gros acheteurs, enfin, 2,30 0/0, qui ont acquis dix fois et plus, près de 10 0/0 des adjudications.

Les adjudications ayant été d'importance si différente et le nombre d'adjudications par tête d'acquéreur aussi variable, les superficies acquises par chacun des acheteurs ne pouvaient être que fort inégales. La moyenne de 7 hectares 70 par tête d'acquéreur était donc, elle aussi, purement fictive. Vingt-huit des acquéreurs, 6,06 0/0 du nombre total, avaient acheté chacun plus de 30 hectares de terre; ils se partagèrent 1,904 hectares, soit 52,45 0/0 de la superficie vendue, ce qui représentait 68 hectares par tête d'acquéreur. Encore, sur ces 28 acheteurs, 19 n'atteignaient pas à cette moyenne de 68 hectares et 9 la dépassaient avec une moyenne de près de 105 hectares 1/2 par tête. Le plus gros acquéreur avait acheté 245 hectares. Les trois suivants de 100 à 140 hectares. Les 434 autres acquéreurs, soit 97,22 0/0, se partageaient seulement 1,726 hectares, soit 47,55 de la superficie, ils n'avaient plus en moyenne que 3 hectares 97 par tête; encore ce chiffre doit-il être abaissé à moins encore pour 400 d'entre eux. Une vingtaine d'acquéreurs en effet sur ces 434 avaient acquis chacun de 10 à 30 hectares, en moyenne 17. 414 acquéreurs n'avaient donc plus en moyenne par tête que 3 hectares 30, pas même la moitié de la moyenne théorique. Une trentaine n'atteignaient pas 1 hectare. Les 3/5 des acquéreurs environ avaient acquis en moyenne de 2 à 5 hectares.

On voit combien fut inégale la répartition des biens nationaux entre les acquéreurs. 1/10 des acquéreurs avait absorbé les 3/5 des terres mises en vente, les 9/10 s'étaient disputé les 2/5 restant. Dans un district de 90,000 habitants et de 18,000 hectares, peut-on dire que la petite propriété a été fondée par la vente et le partage de 1,375 hectares entre 350 individus ?

Encore une bonne partie des terres tomba-t-elle aux mains de la bourgeoisie. Sur cinquante-quatre acquéreurs pris au hasard, trente, c'est-à-dire plus de moitié, étaient des citadins, onze Rouennais, treize Caudebecais, deux Bolbecais, un Parisien, un Yvetotais, un habitant de Lillebonne et un de Darnétal. Les vingt-six autres acquéreurs habitaient des villages ou des bourgs du département de la Seine-Inférieure, presque tous même du district de Caudebec.

Sur les procès-verbaux de vente, mention est toujours faite du domicile de l'acquéreur, mais sa profession est rarement indiquée. Sur cinquante-six acquéreurs pris pour épreuve, elle n'est indiquée que pour vingt-quatre deux « marchands laboureurs, » cinq

« marchands,» deux « négociants, » un « marchand de cidre tenant hôtel garni à Paris, » un « marchand tanneur, » un « marchand bourrelier, » un tourneur, un juge de paix, deux hommes de loi, un banquier, un essayeur de monnaie, un menuisier, un fabricant, un « apothicaire,» un « bourgeois. >>

Si l'on compare non plus le nombre des acquéreurs de la classe bourgeoise et de la classe paysanne, mais l'importance de leurs acquisitions respectives, on voit grandir encore davantage le rôle de la première. Sur les vingt-huit acquereurs qui ont acheté 52 0/0 de la superficie totale des biens nationaux, vingt et un appartenaient à la bourgeoisie. Sur vingt-six autres acquéreurs pris au hasard, neuf en font également partie. Les bourgeois, on le voit, ont eu une grande place parmi les acquéreurs de biens nationaux; mais c'est à tort qu'on les accuserait d'avoir formé dans le district de Caudebec quelques-unes de ces légendaires « bandes noires » d'accapareurs.

Un dixième seulement des adjudications, 92 sur 900, fut acquis par des syndicats d'acheteurs. Ces acheteurs, au nombre de 160, etaient 116 personnes différentes et n'acquirent en tout que 643 hectares, ce qui ne représente qu'une superficie de 6 hectares 90 par adjudication et de 5 hectares 1/2 par tête d'acquéreur: il n'y a là rien d'exagéré. Ce dernier chiffre est même inférieur à la moyenne générale de superficie par acheteur.

L'importance des acquisitions de la bourgeoisie n'a pas son origine dans un accaparement; elle s'explique simplement par les conditions sociales et économiques de l'époque où se fit la vente et par la nature même des biens qui furent vendus.

Le morcellement n'eut pas lieu d'abord avec toute la rigueur qu'avait souhaitée l'Assemblée constituante. Certaines grandes fermes et de grandes propriétés abbatiales ne purent être morcelées; d'autre part, beaucoup de paysans, quoique fort désireux d'acquérir, n'osaient le faire par crainte d'une contre-révolution et n'avaient pas pour la plupart de capitaux disponibles en quantité suffisante. Dans la bourgeoisie, l'on trouvait moins de scrupules et plus d'argent; l'on acheta plus de terres et des terres plus importantes, surtout durant les deux premières années.

A partir de 1793, sur les votes réitérés de la Convention, la vente s'opéra par parcelles, et les grosses adjudications, assez nombreuses de 1790 à 1793, diminuent de 1793 à 1795, et même, de juin à novembre de cette dernière année, on n'en rencontre plus une seule.

Tocqueville, étudiant la vente des biens nationaux, avait constaté que la plupart des terres ecclésiastiques avaient été achetées « par REV. HISTOR. LXXVII. 1er FASC.

6

des gens qui en possédaient déjà, » de sorte, concluait-il, « que le nombre des propriétaires s'est bien moins accru qu'on ne l'imagine. » Et il ajoutait : « L'extrême division de la propriété est un fait bien antérieur à la Révolution française. >>

Dans le département de Seine-et-Marne, les constatations de M. Minzès sont identiques : les acquéreurs étaient en grande partie des bourgeois, commerçants, industriels, banquiers, avocats, hommes de loi, et à tout prendre la vente des biens nationaux n'avait pas sensiblement modifié la répartition de la propriété foncière.

L'étude de la vente des propriétés foncières ecclésiastiques dans le district de Caudebec conduit aux mêmes conclusions. Ces biens ne comprenaient que 6 0/0 de la superficie; c'était peu, et à côté d'eux la propriété individuelle avait le champ large.

La vente des biens nationaux n'eut d'autre résultat que de les faire tomber en majeure partie aux mains de la bourgeoisie déjà riche de terres; elle permit aussi à quelques gros cultivateurs de devenir propriétaires des fermes qu'auparavant ils louaient et à quelques artisans de villages et de bourgs d'acheter un petit champ ou une « masure. » La propriété ecclésiastique n'était plus, c'est vrai; mais les terres, possédées respectivement par les bourgeois, par les paysans et par les artisans, étaient restées dans un rapport proportionnel sensiblement le même qu'avant la vente.

G. LECARPENtier.

« 上一頁繼續 »