網頁圖片
PDF
ePub 版

cesse d'un coin de l'Alsace à l'autre, pour n'oublier aucun des différents états qui se partageaient le pays. Il est absolument impossible d'en agir autrement quand on veut donner un récit suivi. Nos deux auteurs se sont infiniment facilité la tâche en renonçant à donner un tableau d'ensemble; ce n'est pas leur titre qui répond à la réalité, c'est leur sous-titre : Scènes de la vie politique et intellectuelle, etc. De cette façon ils ont cueilli dans l'histoire de la province une série d'épisodes ou de périodes marquantes et ont perfectionné leurs esquisses, en négligeant volontairement tout ce qui se montrait trop rebelle à leur cadre. Ils avaient incontestablement le droit d'en agir ainsi, seulement il faut bien constater qu'ils n'ont point écrit, comme ils l'annoncent, une Histoire d'Alsace.

[ocr errors]

Quant à la manière dont ils ont exécuté ce programme qu'ils s'étaient tracé, il serait difficile de l'apprécier dans un jugement d'ensemble. Il faudrait savoir d'abord auquel des deux auteurs incombe la responsabilité de chaque esquisse. On peut bien supposer, en thèse générale, que les chapitres d'histoire sont dus à la plume de M. Lorenz et les chapitres sur la littérature, à M. Scherer, mais ce n'est pas une certitude. Ce sont en tout cas ces derniers qui sont les mieux faits de tout l'ouvrage. L'originalité scientifique n'est point un des traits distinctifs de ce travail; nous n'en faisons point un reproche aux auteurs; ce n'est pas dans un volume de 400 pages que l'on peut se livrer à de nouvelles recherches et travailler sur les sources. Ils ont fait leurs preuves autre part et c'est uniquement au point de vue des faits, et sans arrière-pensée, que nous constatons que cette Histoire d'Alsace, en tant qu'histoire, nous parlerons tout à l'heure des chapitres de littérature est uniquement un résumé des travaux antérieurs de l'historiographie alsacienne, depuis Schoepflin, jusqu'à Strobel et MM. Schmidt ́et Spach. On n'y trouverait pas un fait qui ne fût connu de ceux qui ont superficiellement étudié l'histoire des petits territoires groupés sur le sol de l'Alsace. Comme le travail n'est de la sorte, au point de vue historique, qu'un résumé très-court, les erreurs graves ou les appréciations fausses des événements, doivent être naturellement assez rares aussi : cependant on y trouve des assertions bien inattendues. Nous n'en citerons qu'un exemple. Tout à l'heure nous parlions de l'extrême fractionnement du sol de l'Alsace et du grand nombre de petits états qui s'y trouvaient. En présence de cette vérité élémentaire, nous lisons chez MM. L. et S.: « La puissance des princes n'a jamais pris racine en Alsace; on y » fut toujours antipathique aux petites souverainetés » (p. 17). Les auteurs n'ont qu'à regarder les faits et à relire d'ailleurs ce qu'ils disent eux-mêmes (p. 47) pour voir combien cette assertion est erronée. Les premières périodes de l'histoire d'Alsace (le premier volume) sont les mieux décrites et les plus impartialement racontées, puisqu'elles sont les plus éloignés du présent. Les luttes du moyen-âge entre le tiers-état et le pouvoir des évêques sont racontées avec

1. Nous ne pouvons nous empêcher de relever dans la préface de la seconde édition une singulière déclaration au sujet des secours trouvés dans la littérature antérieure; beaucoup de l'Allemagne, quelque peu de l'Alsace, rien de la France. Malheureusement pour cette assertion tous nos historiens alsaciens connus, depuis Schilter et Schoepflin, jusqu'à Grandidier, sans compter ceux du XIX s. qui le sont toujours, ont été sujets ou citoyens français. Je ne vois guère que M. Hegel en Allemagne, qui de nos jours ait rendu de notables services à l'histoire d'Alsace.

un grand entrain d'après les vieux chroniqueurs; l'histoire de la Réforme aussi nous présente un tableau fidèle et attachant des faits du xvIe siècle. Mais avec le second volume, la disposition des esprits change. L'on devine pourquoi : l'influence française apparaît dans l'histoire d'Alsace et le sang-froid des deux savants professeurs s'évanouit. A chaque date en avant, la situation s'aggrave, et depuis la guerre de Trente-Ans l'on peut dire que parfois le récit tourne au pamphlet. Je n'aurais que l'embarras du choix, si je voulais citer toutes les preuves de ce que j'avance. Que l'on voie p. ex. (I, 227) l'indignation contre les visées de Henri II sur Strasbourg1, le blâme jeté sur le stettmeistre Jacques de Sturmeck, le plus remarquable des hommes d'état strasbourgeois, à cause de ses relations avec François Ier et la France (II, p. 12), qu'on lise surtout les déclamations contre le prétendu plan des Français de dévaster l'Alsace pendant la guerre de Trente-Ans, afin de la forcer à devenir française, plan « né de la » préméditation la plus égoïste et la plus sombre dont soit capable une âme de >> bourreau » (II, p. 95). C'est se moquer de l'histoire. Sont-ce les Français qui ont appelé Mansfeld en Alsace, de 1621 à 1622? Sont-ce les Français qui ont ordonné aux troupes de l'empire d'Allemagne, aux soudards de Gallas et de Jean de Werth de ravager ces provinces? Sont-ce les Français qui ont commis ces atroces massacres de paysans catholiques du Sundgau, dont le «< fossé aux tripes >> rappelle encore de nos jours le sanglant souvenir? Sont-ce les Français qui forçaient ces malheureux paysans à se nourrir de chair humaine, pour apaiser leur faim? Mais les auteurs savent bien le contraire; ils sont obligés d'avouer plus loin que les Impériaux eux-mêmes appelaient les Français dans le pays par haine des protestants allemands (II, p. 96). Cet esprit de partialité, qui est en même temps un esprit d'inexactitude, domine de plus en plus, à mesure que nous avançons à travers le xvIIIe siècle. Ainsi rien n'est plus faux que d'affirmer que le catholicisme fut introduit «< surtout à Strasbourg » par « l'abus le plus criant de » la force brutale » après la réunion de 1681. Rien n'est plus erroné que de parler de la décadence de Strasbourg au xviie siècle, au point de vue matériel; ruinée pendant la guerre de Trente-Ans, elle avait presque doublé sa population vers le milieu du XVIIIe siècle; elle se sentait parfaitement heureuse sous la domination française et bien qu'allemande par la langue et les mœurs, elle n'avait aucunement de tendances politiques germaniques. Il est grotesque de dire que << Strasbourg, au moment de la Révolution, ne montrait d'intérêt que pour une » querelle au sujet de quelques étaux de boucher » (II, 173). Quant à la Révolution elle-même, on devine comment elle est racontée; ce mouvement si fécond, malgré toutes ses erreurs a, comme tout le monde le sait, consommé l'union intime de l'Alsace et de la France, c'est de là que sont nés ces liens de sympathie indestructibles, qui durent toujours; et cependant MM. L. et S. nous retracent un tableau fantastique de cette époque; selon eux, il y aurait eu «<< une lutte » inouïe des races » (ein unerharter Racenkampf) entre les habitants de l'Alsace et les Français, qui éprouvaient «< une méfiance invétérée à l'égard de tous les

1. On ne peut s'empêcher de la trouver grotesque quand on songe aux procédés d'un autre souverain, en 1870.

» Alsaciens, sans exception » (II, 185). On nous parle des luttes du «< conseil » municipal allemand, » de Strasbourg et de la «< noblesse allemande » du pays; les auteurs n'ont-ils donc jamais lu les délibérations de ce conseil municipal allemand, et ne comprennent-ils pas que c'est comme nobles, comme émigrés, que les barons de l'Alsace ont combattu sous les drapeaux de Condé et non pas comme Germains? Ce n'est pas avec quelques fades plaisanteries sur le nom de Mme de Dietrich, dans le salon de laquelle fut chantée pour la première fois la Marseillaise, et par des lamentations sur la décadence de la population d'Alsace << rongée » d'une façon inquiétante par les sympathies françaises » et possédée « de la » triste ambition d'appartenir à la grande nation » (II, p. 198, 210) qu'on effacera l'impression de ces premiers beaux jours de la Révolution, suivis, hélas! de tant de jours d'orage. Ce n'est pas Napoléon Ier qui le premier a uni l'Alsace à la grande patrie par ses conquêtes (II, 198); cette union s'est faite en 1789. Les chapitres qui terminent le second volume sont tout particulièrement déplaisants à lire. Au dire des auteurs, l'Alsace depuis 1800 a été un pays hermaphrodite (sic) et par conséquent condamné à une stérilité complète. Je n'ai point le courage de les suivre sur ce terrain moderne, je dois signaler seulement l'esprit étroit qui règne dans ces pages finales 2, les nombreuses erreurs, involontaires sans doute, dans l'énoncé des faits 3, la sentimentalité de mauvais goût qui s'épanche en hymnes de joie d'avoir encore à temps « arraché le sang germa>>nique à ce joug de l'enfer » (II, 257) et qui trouve son apogée dans la prédiction suivante : « l'Alsace, enfant prodigue qui a déserté à l'étranger et qui a >> revêtu l'uniforme de l'ennemi » (II, p. 231) se retrouvera promptement à l'aise dans les bras de sa mère allemande et le jour viendra «< où les Strasbour» geois réuniront les boulets du bombardement pour les montrer aux visiteurs » comme les premiers messages de la délivrance germanique, » tandis que dans la salle des délibérations du conseil municipal on placera le portrait du général de Werder! (sic! II, 259).

On le voit, cela n'est plus de la science; c'est pourtant à de pareilles aberrations qu'aboutissent des esprits distingués quand ils se laissent entraîner à la remorque des passions du moment, ou qu'ils prétendent les exploiter ou les servir. Ces deux volumes ont été rédigés en partie, avant que la guerre fût terminée, pendant le terrible hiver de 1870, et l'on y sent l'odeur de la poudre et les haines nationales; seulement on ne devrait point appeler cela de l'histoire.

Heureusement qu'il est des chapitres de cet ouvrage que l'on peut lire avec d'autres sentiments; plus calmes et plus littéraires, ils appartiennent - nous

1. Les détails sur l'histoire de la Révolution sont présentés souvent sous un jour tout faux. Nous ne pouvons point entrer dans les détails, mais qu'il nous suffise de dire qu'il est aussi contraire à la vérité de citer un fanatique exalté comme Monet, le maire jacobin de Strasbourg, comme type du Français qu'il serait absurde de déclarer Haynau ou Schinderhannes les représentants de la nation allemande.

2. Ainsi il est incroyable que des écrivains alsaciens se permettent d'écrire en français ! (p. 213).

3. Ex. Il n'y avait ni enseignement scientifique ni étudiants à Strasbourg (II, 22). Seulement il y a quatre ans l'Académie de Strasbourg comptait environ 800 étudiants et la nouvelle Université en avait cet été 200 et tous les professeurs qui ont voulu rester, on a été heureux de les placer.

tenons à être scrupuleusement juste envers les auteurs à ce que nous connaissons de plus délicat et de mieux écrit dans la prose allemande. Ce sont les études relatives à la littérature alsacienne. On sait qu'en elle s'est concentrée au XIIIe siècle d'abord, au xvio ensuite, l'activité poétique de l'Allemagne. On ne saurait rien lire de mieux dit et de mieux pensé que les belles pages sur Otfrid de Wissembourg, sur Reinmar de Haguenau, sur Gotfrid de Strasbourg et son poème de Tristan et Yseult, sur les mystiques du moyen-âge, Tauler et maître Eckhard, sur la cathédrale et l'art gothique. Quelle verve dans la description d'un cabaret au XVIe siècle (I, p. 139) et dans l'analyse de la poésie satirique et populaire de ces temps. Mais la perle de ces deux volumes, au point de vue littéraire, est le chapitre sur Fischart, le traducteur, ou pour mieux dire, l'imitateur si original de notre Rabelais (II, p. 33). Pourquoi le livre tout entier n'est-il point écrit de ce style et dans cet esprit? Hélas! même dans ces régions de la littérature du moyen-âge, la politique fait invasion'. C'est à propos du Christ d'Otfrid que nous apprenons que M. de Bismarck a déclaré Strasbourg la clef de l'Allemagne, et le beau chapitre sur l'art gothique se termine par cette apostrophe: «< Te réjouis-tu fier nourrisson des géants (il s'agit de la cathédrale) » de ce que ton regard repose enfin de nouveau sur la terre germanique ? » (I, p. 94) Quelques erreurs de fait dans ces chapitres littéraires ne méritent point d'être relevées ici. Nous voulons seulement faire remarquer à titre de curiosum, que les auteurs parlent longuement, avec beaucoup de verve et d'esprit d'un chroniqueur alsacien, dont l'œuvre inédite a péri dans l'incendie des bibliothèques de Strasbourg 2. Nos deux savants n'ont jamais visité ces trésors, pour autant que nous sachions, et il était peut-être un peu frivole (c'est un mot que les Allemands affectionnent à notre égard) de broder ainsi sur l'étroit canevas que fournissaient les quelques notices publiées sur cet écrivain (II, p. 21).

Malgré les mérites divers que nous nous sommes plu à reconnaître, et malgré l'approbation que cet ouvrage semble avoir rencontré en Allemagne et même dans les régions du pouvoir 3, nous ne pouvons nous empêcher de conclure qu'une tendance pareille ne peut être que nuisible à ceux qui la cultivent, comme à ceux qui l'approuvent. Quand l'effervescence des passions sera quelque peu calmée, plus d'un savant allemand regrettera peut-être de les avoir partagées à pareil degré. Plus nous allons et plus on peut constater - je le fais à regret pour ma part, que si l'Allemagne a gagné par la dernière guerre quelques provinces et quelques milliards, elle a perdu, elle perd de plus en plus cette impartialité scientifique et ce respect scrupuleux de la vérité historique dont elle avait le droit d'être fière autrefois et qu'elle semble regarder aujourd'hui comme un bagage inutile au vainqueur.

[ocr errors]

R.

1. C'est ainsi que les auteurs nous parlent à propos de l'invasion des Armagnacs, des robes et parures de femmes trouvées à Froschwiller dans les fourgons des soldats de MacMahon (I, p. 104).

2. Les auteurs semblent ignorer l'incendie de ces bibliothèques; dans un livre rédigé en-déc. 1870, ils renvoient gravement au célèbre manuscrit de Herrard de Landsperg, l'un des joyaux des collections détruites (I, p. 38).

3. M. Scherer vient d'être appelé à l'Université de Strasbourg.

Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.

[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors]

Sommaire: 203. EDKINS, Place de la Chine dans la philologie.
Étude sur la condition forestière de l'Orléanais.

1872

[ocr errors][merged small]

205. BOSSERT, Goethe.

203. China's place in philology, an attempt to show that the languages of Europe and Asia have a common origin, by Joseph EDKINS B. A. London, Trübner and Co, 1871. In-8°.

L'opinion commune (assez peu éclairée et passablement prévenue, il faut le reconnaître) attribue volontiers à la Chine, dans la philologie, une place à part, isolée, exceptionnelle. M. E. rompant en visière aux idées courantes, la place au contraire au centre, ou, si l'on veut, au sommet de la philologie; il fait du chinois la langue principale à laquelle tout se rattache et par laquelle tout s'explique. Les habitants du « royaume du milieu » s'ils sont capables de reconnaissance, doivent savoir gré à ce « barbare » qui, sans accepter toutes leurs prétentions, leur accorde cependant dans le développement des langues une place analogue à celle qu'ils se flattent d'occuper dans le monde.

Le livre de M. E. touche aux questions les plus graves. C'est un plaidoyer en faveur de l'unité de la race humaine, confirmée (selon l'auteur) par l'unité du langage; c'est par suite un chapitre d'apologétique biblique. La question philologique joue donc dans le plan de l'ouvrage un rôle accessoire, elle sert à prouver une thèse; mais, la preuve envahissant tout le livre, la question philologique devient en fait la principale. Néanmoins, la subordination qui lui est imposée par le plan de l'auteur présente un inconvénient : c'est que le désir et le besoin de trouver des analogies peuvent en faire découvrir là où un esprit libre de préoccupations n'en aurait point aperçu. Mais c'est là l'écueil ordinaire et inévitable de tous les travaux sur la philologie comparée, dans quelques conditions qu'on les entreprenne. Ceux qui s'occupent de la comparaison des langues indo-européennes font souvent des rapprochements faux ou hasardés, parce que la certitude d'un grand nombre de faits analogues admis comme incontestables donne de la confiance et autorise à croire que le nombre de ces faits peut s'augmenter presque indéfiniment. M. E. lui-même est dominé par une pensée semblable; il ne fait pas autre chose que d'appliquer à toutes les langues de l'Asie et de l'Europe (voire même à celles d'Amérique) la méthode qui, dans le domaine restreint, quoique vaste encore, des langues indo-européennes, a donné de si surprenants résultats. Seulement il a le désavantage de se mouvoir dans un champ infiniment plus vaste, où, par conséquent, il est beaucoup plus facile de s'égarer. Nous pensons, et le lecteur pensera sans doute comme nous, que, au lieu d'étendre cette méthode à l'ensemble des langues, il eût mieux valu la restreindre à certains groupes déterminés, sauf à essayer plus tard de comparer les

« 上一頁繼續 »