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vaient éclairer ses sentiments à l'égard de l'Empire (1re partie), de la société civile (2e partie), et de la vie pratique (3o partie). Il l'interroge avec une curiosité méthodique de reporter ou d'économiste, et s'arrête à l'extrême limite où la curiosité touche à l'indiscrétion. Tertullien, il est vrai, ne répond pas toujours; non qu'il se dérobe il ne s'est jamais dérobé; mais, tout simplement, il a oublié de répondre. L'enquête psychologique est complète, et généralement exacte. Je ne puis m'empêcher cependant de chicaner un peu M. G. sur l'un des principes de sa méthode. Il distingue fort bien, dans l'œuvre de Tertullien, entre les livres adressés aux païens et les livres adressés seulement aux fidèles suivant les cas, la valeur du témoignage est très inégale, et dans cette simple distinction l'on trouve l'explication de bien des contradictions apparentes. Mais M. G. ne croit pas qu'il y ait à tenir compte de la différence des dates. Que la chronologie des œuvres de Tertullien soit hérissée de difficultés, c'est évident, et nous en savons quelque chose. Qu'il soit utile de la fixer, nous n'en dou tons pas; et c'est ce qui justifie les efforts successifs de tant de savants. Pour M. G. les idées de Tertullien n'ont pas varié; là où nous voyons une évolution logique, il verrait volontiers un bloc. Nous ne pouvons reprendre ici la question; voici pourtant deux exemples. Tertullien a toujours été l'ennemi du second mariage : mais, dans sa jeunesse, il s'en moquait en rhéteur; plus tard, il le déconseillait pour des raisons morales et religieuses, mais sans l'interdire absolument, puisque d'avance il autorisait sa veuve à se remarier; il a fini par lancer l'anathème contre les secondes noces, qu'il appelait crument un adultère. Même évolution dans ses idées sur le rôle du clergé : au début, il admet sans discuter la hiérarchie consacrée, et remplit lui-même les fonctions de prêtre; puis, il revendique, en face des clercs, les droits du simple fidèle; enfin, il attaque l'Église constituée, et, comme un farouche puritain, prétend se passer de toute hiérarchie. On voit l'utilité de la chronologie. Mais, s'il y a évolution, c'est donc que la personnalité de Tertullien entre en jeu. Par suite, le rôle de l'historien se complique singulièrement a-t-on le droit de considérer comme une idée représentative d'un parti chrétien, ou simplement d'un groupe de chrétiens, ce qui peut être une exa gération née d'un entraînement individuel ou d'une polémique? L'étude sur les sentiments de Tertullien n'est qu'une moitié, je dirai presque la moindre, du travail de M. G. Il est de ceux qui ne se résignent point à mesurer un monument sans avoir approfondi toute l'histoire de l'architecture. Et je l'en loue. Mais toute qualité a sa rançon. Entraîné par sa conscience même, M. G. a étendu son enquête à presque tout le domaine du christianisme primitif; par exemple, il interroge Clément d'Alexandrie aussi souvent que Tertullien. Évidemment, l'enquête ainsi comprise gagne en intérêt historique. Mais il n'est pas sûr que le livre y gagne. L'auteur hésite un

peu entre deux sujets, tous deux fort beaux, j'en conviens; mais il hésite. Et puis, l'originalité de Tertullien en est un peu trop diminuée. M. G. aime à nous montrer que les idées de Tertullien ne sont pas de lui. C'est vrai, presque toujours; mais relisez Tertullien après les autres, et, quand vous sentirez sa griffe, essayez de songer aux

autres.

A plusieurs reprises, M. G. a fort bien parlé de l'intransigeance de Tertullien. Il y avait dès lors des gens à principes, et des politiques; des révolutionnaires, et des conservateurs. L'originalité de Tertullien, comme plus tard de Joseph de Maistre, c'est d'avoir été ultra-conservateur avec une fougue de révolutionnaire. M. G. fait remarquer avec beaucoup de justesse que les idées de Tertullien étaient presque toujours celles du christianisme évangélique, de plus en plus oubliées dans la pratique. Mais est-il aussi juste de dire que Tertullien s'est drapé dans son intransigeance et s'est refusé à toute concession, parce qu'il vivait dans l'attente de la fin du monde? Saint Cyprien, lui aussi, attendait chaque jour la fin des temps; il en parle sans cesse; et cependant il a été l'homme des concessions raisonnables, des transactions, le politique par excellence. Bref, le rêve mystique ne se transformait en règle de vie que chez les rigoristes. Cela nous ramène à l'explication traditionnelle, qui d'ailleurs n'explique rien : Tertullien a été intransigeant, parce qu'il était né intransigeant et que les circonstances l'ont enfermé de plus en plus dans son intransigeance.

Nous pourrions discuter longtemps, et louer plus longtemps encore, ce livre si riche de faits. En soulevant quelques questions, nous avons voulu surtout montrer l'intérêt de ce travail, qui est une contribution importante à l'histoire du christianisme primitif.

Paul MONCEAUX.

Édouard ROTT. Histoire de la représentation diplomatique de la France auprès des cantons suisses, de leurs alliés et de leurs confédérés. Ouvrage publié sous les auspices et aux frais des archives fédérales suisses. Berne et Paris, t. I (1430-1559), 1900, 608 p. in-4°. T. II (1559-1610), 1902, 723 p. in-4°.

C'est une œuvre considérable qu'a entreprise M. Édouard Rott et un service immense qu'il rend autant à la France qu'à la Suisse en faisant, d'après les documents originaux et manuscrits, presque tous inédits, tirés des bibliothèques et archives de Paris, l'histoire de la représentation diplomatique de la France auprès des cantons suisses. Les études antérieures de M. Rott l'ont préparé à ce grand travail, en premier lieu, son précieux Inventaire sommaire des documents relatifs à l'histoire de Suisse, conservés dans les archives et bibliothèques de Paris.

Son nouvel ouvrage ne comprendra pas moins de neuf volumes in-4o, divisés en trois séries. La première (t. I à VI) contiendra l'histoire des négociations depuis les origines jusqu'à nos jours; le deuxième (t. VII et VIII) la biographie des agents diplomatiques français. La troisième partie (un dernier volume) initiera le lecteur au genre de vie mené par les ambassadeurs de France en Suisse.

Deux volumes ont déjà paru. La période qu'ils embrassent est d'un intérêt majeur: c'est l'histoire des négociations de Charles VII à Henri IV. L'origine des relations franco-suisses et leur développement, la guerre de Bourgogne, la rivalité de François Ier et de Charles-Quint, les guerres de religion jusqu'à la veille de la guerre de Trente ans, tel est le programme de cet ouvrage, aussi intéressant, on le voit, pour le lecteur étranger que pour le lecteur français ou suisse.

L'auteur sait refaire l'histoire générale en employant comme canevas l'échange des dépêches des ambassadeurs, dont chacune se trouve adroitement résumée en une ligne ou deux. Délicate était la tâche. Il ne fallait omettre aucune dépêche ; à cet égard, il serait pour ainsi dire impossible de signaler chez M. Rott des lacunes dans le dépouillement des documents d'archives qu'il connaît si bien. Sans doute l'intérêt risque de se perdre quand on ne doit laisser passer aucune dépêche, si insignifiante soit-elle, aucune négociation, si inutile qu'elle ait été. En revanche l'historien éprouve une grande satisfaction à ne rien lire qui ne s'appuie sur des documents authentiques, exactement cités et savamment classés. Qu'est, auprès de cela, au point de vue de la valeur historique, la lecture des chroniques et des mémoires? Sans doute ce système ne donne que le squelette; mais il laisse l'impression de la vérité même.

Une difficulté à résoudre, c'était de mettre de l'unité dans ce travail. Il y a tant d'ambassadeurs et d'agents simultanés, qui collaborent ou se combattent, tant d'États et cantons divers auprès desquels ils sont accrédités, que la curiosité doit se disperser sur beaucoup d'objets à la fois. En général, M. Rott débute par une liste méthodique, année par année, en deux colonnes, qui donne les noms des envoyés ordinaires d'une part, des agents extraordinaires de l'autre. Suit l'histoire de l'ambassade ordinaire en Suisse, puis celle des chargés d'affaires, ensuite l'ambassade ordinaire aux Grisons, enfin le résumé des missions extraordinaires dans les cantons, au Valais, aux Grisons, à Genève. Il n'est pas toujours commode de suivre le fil historique; il faut souvent regarder à quatre endroits à la fois. Mais cette méthode s'imposait à l'auteur, qui s'est proposé de faire moins un livre d'histoire générale qu'un précieux répertoire consultatif. Du reste, pour s'y reconnaître, il suffit de lire les substantielles notices historiques que M. Rott place en tête de chaque règne;

à la fin du volume, une table des noms sert de guide général dans le dédale des négociations'.

Pour résumer l'histoire telle qu'elle se dégage des livres de M. Rott, bornons-nous à rappeler que les relations diplomatiques de la France avec les cantons ne commencent guère avant le milieu du xve siècle. La bataille de Saint-Jacques, en 1444, dans laquelle le dauphin Louis put apprécier la valeur guerrière des Suisses, qu'il avait été appelé à combattre, fut le signal de l'activité diplomatique. La paix perpétuelle de 1452 constituait déjà une sorte de traité d'établissement. Entre l'Autriche dépouillée et la Suisse émancipée, Charles VIII intervenait comme médiateur; les duchés de Bourgogne et de Savoie empêchaient encore le contact de s'établir entre la France et les Ligues de la Haute-Allemagne. Mais à partir de 1464, année où Louis XI renouvelle le traité d'amitié de son père, le roi de France compte à Berne un parti puissant dirigé par Diesbach. Il réussit, en les réconciliant avec l'Autriche, à armer les Suisses contre Charles le Téméraire (alliance défensive de 1470, offensive de 1474), et lui seul sut tirer parti de leurs victoires. Si les Suisses avaient été moins divisés entre eux et moins avides d'argent, ils pouvaient fonder le grand empire central des Alpes grâce à leurs conquêtes sur l'Autriche et la Bourgogne, puis sur le Milanais et la Savoie. Louis XI, malgré le traité de paix perpétuelle que la maison de Bourgogne-Autriche signa en 1478 avec les Suisses, apprit déjà à ces derniers à se rendre en France, comme dans une seconde patrie, soit à titre de soldats, soit en simples trafiquants.

Néanmoins, au temps de Charles VII et de Louis XI, les relations. étaient restées d'ordre essentiellement diplomatique. Avec Charles VIII et Louis XII commence le système des capitulations militaires. En 1484, un traité renouvelle celui qu'avait signé Charles VII; la France procède à des enrôlements, d'abord clandestins. Plusieurs milliers de Suisses mercenaires combattent à Saint-Aubin-du-Cormier en 1488, et plus tard, en Italie (1494-1495). En 1499, Louis XII fit un traité, qui lui fut exclusivement favorable, avec les cantons alors en guerre contre Maximilien d'Autriche. Il ne sut pas profiter de ses avantages. Les vexations qu'il fit subir aux Suisses, qui l'avaient aidé à conquérir Milan et Gênes, les brouillèrent avec lui. En 1510, et surtout en 1512 et 1513, les Suisses et Grisons, alliés au pape Jules II, à la Sainte Ligue et aux ennemis de Louis XII, prirent le Tessin, la Valteline, chassèrent les Français d'Italie et de Neuchâtel et assiégèrent Dijon. La politique de Louis XII à leur égard avait été pitoyable.

Mais un vengeur se présenta dans la personne de François Ier, l'heureux vainqueur de Marignan. Après cette bataille, la couronne

1. Nous aurions voulu revoir ce genre de notices pour chaque règne dans le tome II. Nous espérons les retrouver aux volumes suivants.

de France et les Ligues se trouvaient dans une situation analogue à celle où les avait placés la bataille de Saint-Jacques. Comme en 1444, on traita sous la médiation de la Savoie. La paix de Genève, de novembre 1515, fut suivie, un an après, de la paix perpétuelle de Fribourg. Plus habile encore que Louis XI, et plus avancé en poli-. tique, François Ier sut assurer à sa couronne l'appui que devaient lui donner tout à la fois le libre passage des Alpes et le recrutement avoué des Suisses mercenaires. Si bien qu'avant même de conclure l'alliance de Lucerne, le 5 mai 1521, le roi de France avait en Suisse comme un ambassadeur résident dans la personne d'Antoine de Lamet. L'ambassade de France existera dès lors à titre permanent, avec résidence, pendant plus de deux siècles, à Soleure. En outre des légations, intermittentes il est vrai, vont s'établir aux Grisons, au Valais et ailleurs. A cause de la complication des comptes, notons-le, l'ambassadeur ordinaire sera parfois assisté d'un général des finances. A partir de 1521, il ne s'agit pourtant plus que d'interpréter les clauses du contrat, aux termes duquel les Suisses, en retour des soldes, subventions, pensions tant publiques que privées qu'on leur assure, et des avantages commerciaux qu'on leur laisse, vont verser leur sang au service de la France sur tous les champs de bataille de l'Europe. Henri II renouvelle, en 1549, la précieuse alliance.

Sous les successeurs de Henri II (tome II de M. Rott), l'histoire des relations de la France avez les treize cantons suisses change pourtant de caractère. De politique qu'elle était d'abord, elle prend un aspect confessionnel. D'un côté le roi perd l'appui des États protestants et l'appoint de leurs troupes au temps des guerres de religion et surtout à partir de la Saint-Barthélemy; d'autre part la Ligue, en détachant du roi les catholiques exaltés, tendra à lui ramener les contingents protestants. L'alliance de 1587 conclue par l'Espagne avec six des sept cantons catholiques qui subissaient l'influence du nonce du pape et du colonel lucernois Pfyffer, « le roi des Suisses », gêna considérablement l'effort que devait faire Henri IV pour réunir en un seul faisceau les forces helvétiques. Les Suisses catholiques forment le tiers des troupes royales à Dreux, à Saint-Denis, à Jarnac, à Moncontour; ils se sont particulièrement distingués lors de la retraite de Meaux. Les protestants paraissent dans les contingents envoyés au secours des Églises réformées du royaume avec le comte palatin Jean-Casimir de Bavière, « le condottière du protestantisme français », et ses successeurs. Mais à Arques et à Ivry, la moitié des Suisses royaux se compose d'évangéliques, tandis que Mayenne a avec lui la majorité des Suisses catholiques. Malgré la paix de Vervins et le renouvellement de l'alliance franco-suisse sous Henri IV, les cantons resteront divisés en deux confédérations, l'une française, l'autre espagnole. Ce ne sera qu'après la guerre de Trente ans que l'unité se refera.

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