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qu'elle a produit Luther, peut exister encore. Mais enfin il s'agit un peu moins cette fois d'histoire religieuse que d'histoire littéraire; des faits par suite plus piquants font passer plus aisément sur le parti pris de l'auteur. On est dès lors plus à l'aise pour rendre justice à l'étendue de sa science, à l'immensité, et aussi à l'utilité de son labeur qui offre de surprenantes ressources à quiconque voudra écrire sur l'art et les lettres au xvi° siècle. On ne peut analyser un tel volume par le menu. Il suffit de dire que J. y examine successivement les arts (iconoclastes, intentions de propagande, influences extérieures, ouvrages techniques, art des cours, gravures, arts industriels, collections, musique d'église), la littérature (poésies de circonstance, pamphlets, drames spirituels, littérature légère, littérature du merveilleux et de l'horrible, sciences occultes).

C'est simplement comme spécimen que je cite les pages sur les déclamations des prédicants contre les images, la perte de commandes qui en résulte pour Holbein le jeune (p. 20), la n. 2 de la p. 21 sur l'absence d'originalité de Cranach, la dissipation des artistes italiens blàmée et imitée par Alb. Dürer (p. 46), les bizarreries où l'art allemand tombe en s'éloignant des sujets sacrés (p. 50-56), sur les portraits de personnes de mauvaise vie et la parodie dans les tableaux de sainteté (p. 112-113), sur les troupes de comédiens anglais ou welches (p. 328), sur les imitations d'Amadis (p. 368 sqq.), sur le redoublement de crédulité encouragé par les pasteurs qui voulaient avoir leurs miracles à eux (p. 374 sqq.). Mais on pourrait décupler cette liste sans épuiser les particularités instructives qu'offre l'ouvrage. De plus, précisément parce que la matière en est un peu moins étroitement liée à la controverse théologique, le jugement de l'auteur gagne en élévation et même en équité. Il reconnaît tout au moins que les catholiques ont riposté aux attaques obscènes et injurieuses. Il loue le goût vif de Luther pour la musique (p. 139); il nie que Luther ait composé la musique d'un seul cantique, mais il constate l'originalité de quelques-uns de ses psaumes spirituels. Il avoue que la corruption des arts du dessin en Allemagne ne tient pas seulement à l'altération du dogme, mais à une variation du goût qui abandonne la tradition germanique, non pas pour celle de l'antiquité qui, au fond, à l'entendre, était identique, mais pour celle de Michel-Ange, des successeurs de Raphaël, qui s'inspirèrent moins fidèlement de la nature. Il est vrai qu'on est un peu surpris de le voir qualifier ces nouvelles tendances de welches; mais, pour un patriote allemand, catholique ou non, accuser les Welches des fautes de Michel-Ange, c'est presque de la courtoisie.

Félicitons le traducteur de sa persévérance et souhaitons lui le prompt achèvement de sa tâche écrasante. Charles DEJOB.

La manœuvre de Denain, par Maurice SAUTAI, lieutenant d'infanterie, attaché à la Section historique de l'Etat-Major de l'armée, Lille, impr. Lefebvre-Ducrocq, 1902, un vol. de 299 p. avec 2 gravures et 3 cartes, publié sous la direction de la Section historique.

Historien très documenté du siège de Lille (1708), biographe consciencieux des lieutenants-généraux de La Frézelière dont le second passa la partie la plus active de sa carrière en Flandre (de 1708 à 1711), M. Sautai a pu aborder l'histoire de la bataille de Denain avec une compétence spéciale: la région lui était connue et aussi le personnel militaire appelé à s'y mouvoir pendant les dix dernières années de Louis XIV. Nous ne nous étonnerons donc pas qu'il ait étendu le champ de son étude au-delà de ce que promet le titre du volume. La «< manœuvre de Denain » proprement dite et le combat qui la suivit n'occupent que 80 pages sur 300. Le reste, l'auteur l'a consacré à la préparation lointaine de la victoire et à l'homme qui eut l'initiative de cette préparation.

C'est la gloire de Villars, plus que toute autre, qu'évoque d'ordinaire le souvenir de Denain. « Le vainqueur de Denain, le sauveur de la France à Denain », sont les qualificatifs accolés couramment, depuis bientôt deux siècles, au nom du vainqueur de Friedlingen. Toutefois, pour Denain, des historiens lui ont associé deux autres personnages, le maréchal de Montesquiou et un conseiller au Parlement de Flandre, Lefebvre d'Orval. Pour Saint-Simon, animé contre Villars des sentiments que l'on sait, le vainqueur de Denain ne pouvait être que Montesquiou. M. de Vault se montra moins exclusif, mais favorable encore à ce dernier. Folard exalta, au moins dans une préface, le rôle de Lefebvre d'Orval. Voltaire aussi nomme Lefebvre, mais négligemment et pour s'amuser d'une antithèse piquante en donnant à entendre que le seul hasard d'une promenade avait fourni à un magistrat de province l'idée, si féconde, de l'attaque sur Denain et Marchiennes. A l'aide des témoignages les plus sérieux et les plus nombreux que l'on ait encore réunis, M. Santai met les choses au point. Distinguant entre le « projet de Denain », les mouvements du 23 juillet et la bataille du 24, il fait honneur à Villars de la manœuvre sans laquelle la victoire eût été impossible et à Montesquiou de l'énergique offensive prise malgré les hésitations de Villars et qui détermina le succès.

Au fond, le véritable héros de M. S., c'est Lefebvre d'Orval. Avec une sympathie émue il a reconstitué de toutes pièces cette personnalité originale d'un magistrat qu'attirent les questions militaires, qui s'y entend le mieux du monde, en fait sa spécialité, amène le ministre compétent à prendre ses avis et finit, indirectement sans doute, mais réellement, par imposer ses vues aux généraux les plus expérimentés. Bien avant Denain, dès 1706, Lefebvre s'était mis en relation avec

Versailles; chaque année les mémoires qu'il y envoyait se faisaient plus fréquents, étaient mieux appréciés. Au commencement de la campagne de 1712 il entrevoit la portée d'une entreprise sur les communications et les derrières de l'armée ennemie; vers la fin de mai il s'en ouvre à Voysin et, dès les premiers jours de juin, à Villars lui-même; il en réclame auprès d'eux l'exécution jusqu'au jour où il a partie gagnée. C'est ainsi que deux hommes de guerre, l'un comptant parmi les plus grands, l'autre au moins très distingué, se trouvèrent devoir à un modeste homme de robe la conception stratégique dont la réussite éclatante est leur principal titre devant la postérité.

Les documents manuscrits utilisés par M. S. sont surtout, aux Archives historiques de la Guerre la correspondance, jusqu'alors peu explorée, de Lefebvre avec Voysin et les lettres, peu connues, adressées de Flandre au duc du Maine, aux Archives de La Haye les portefeuilles du grand pensionnaire Heinsius. Il a donné un nombre considérable de pièces justificatives, groupant immédiatement après chacun des chapitres celles qui s'y rapportent peut-être eût-il mieux valu les rassembler toutes à la fin du volume, le récit y aurait gagné plus de suite et d'unité. M. Sautai n'a pas moins prodigué, soit au bas des pages, soit en appendice, les notes biographiques sur chacun des personnages que sa plume rencontrait. Telle est même l'abondance de ces notes que nous regrettons de ne pas les voir accompagnées d'une table qui en eût rendu l'usage plus facile.

Ces petits desiderata n'empêcheront point « La Manœuvre de Denain » de faire excellente figure parmi les publications historiques de notre état-major général; c'est vraiment un copieux et substantiel morceau d'histoire militaire.

F. B.

SAINT-SIMON, Mémoires; édition de M. A. DE BOISLISLE, t. XV et t. XVI, avec la collaboration de M. LECESTRE. Paris, Hachette, 1901 et 1902; 671 et 741 pages, in-8° (collection des Grands Écrivains de la France).

Il n'est jamais trop tard pour parler du Saint-Simon de M. de Boislisle. Aussi bien, la Revue critique a déjà dit assez souvent, notamment dans le numéro du 5 novembre 1900, tout le bien qu'elle pensait de cette publication, qui fera époque dans les fastes de l'érudition, pour qu'il suffise de signaler en quelques mots les deux derniers volumes parus.

A partir du tome XVe, on lit sur le titre, à la suite du nom du savant éditeur, cette mention : « Avec la collaboration de L. Lecestre. >> Dans l'Avertissement, mis en tête du volume, M. de Boislisle s'exprime ainsi :

« L'éditeur désigné par Adolphe Regnier aurait été incapable de soutenir une pareille tâche, avec tous ses détails infinis, et de suffire à des efforts de plus en plus complexes, sans le concours qu'il a heureusement trouvé dans le plus dévoué des auxiliaires et des collaborateurs. M. Léon Lecestre, des Archives nationales, a bien voulu s'adjoindre à moi depuis dix-sept années, c'est-à-dire depuis la mise au jour du tome V. Aussi est-ce avec une profonde gratitude, et un plein espoir pour l'avenir, que j'ai proposé que son nom fût désormais inscrit sur le titre de nos volumes. » Tous ceux qui s'occupent de l'histoire du XVIIe siècle ne peuvent que s'en réjouir; ils savent, en effet, la valeur des éditions personnelles que M. Lecestre a récemment publiées des Mémoires de Gourville et des Mémoires du chevalier de Quincy.

L'Avertissement du tome XV fournit aussi quelques chiffres, qui, malgré toute leur éloquence, ne peuvent donner qu'une idée imparfaite de cet incomparable trésor sur les hommes et les choses du XVII° siècle à ceux qui n'en ont pas par eux-mêmes exploré les richesses. « Le nombre des notes, sur 2361 pages de texte nouveau, dépasse 28000, à savoir, en chiffres ronds plus de 4800 pour les notices d'identification première des personnages, plus de 1200 notes de lieux, plus de 1700 notes de langue, plus de 7300 notes de manuscrit, plus de 13000 notes de choses ou de faits. >>

Le tome XV comprend la fin de l'année 1707 et le commencement de l'année 1708, soit plus du double, comme texte, de ce que le tome Ier avait absorbé en 1879. Les additions au Journal de Dangeau sont représentées par 65 numéros. Parmi les 19 Appendices, il faut signaler, pour leur étendue, les numéros suivants: III. Procès de Saint-Simon contre les Lussan; - IV. Fleury et l'invasion à Fréjus (série de lettres très intéressantes, qui font justice de certaines imputations de l'auteur des Mémoires sur la conduite de Fleury lors de l'entrée en Provence de l'armée du duc de Savoie); - VII. Les Arnauld et les Colbert; X. Le cardinal Le Camus; - XIII. Lettres de félicitation à Desmaretz, à propos de sa nomination comme contrôleur général; - XV. Lettres du cardinal de Bouillon à Desmaretz, qui se rapportent à un procès contre les religieux réformés de Cluny.

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Dans les Additions et Corrections, M. de B. parle incidemment des accusations extraordinaires qui circulèrent contre Mme de Montespan lors de l'affaire des Poisons; il dit que les rapports de police qui les ont conservées lui inspirent la plus grande défiance. Nous sommes heureux d'avoir exprimé sur cet ensemble de turpitudes (Revue critique, 19 février 1900), le même doute que l'éminent érudit.

Le tome XVI donne la suite et la fin de l'année 1708. La bataille d'Audenarde et le siège de Lille sont les grands événements militaires. de cette année. L'excellent ouvrage du lieutenant Sautai, publié en 1899, le Siège de Lille en 1708, a été très fréquemment cité et

utilisé dans les notes qui accompagnent le texte des Mémoires; cependant le dossier de la campagne de Flandre proprement dite a été encore enrichi (Appendices V et VI) de plus de cent pages de documents inédits, provenant des papiers du chevalier de Bellerive. Ces documents ont l'avantage d'offrir, pour les faits de guerre de 1708, un récit vendômiste, en opposition aux apologies bourguignonnes de Saint-Simon.

Signalons encore, dans ce tome XVI, trente-deux Additions au Journal de Dangeau; — et, à côté des Appendices déjà cités, divers fragments inédits de Saint-Simon sur l'origine des Beringhen, sur les marquis de la Frette, les Pompadour, le comte de Lionne, le comte de Fiesque, les Conflans Saint-Remy, des lettres de la princesse des Ursins au duc de Noailles, des lettres et mémoires du duc du Maine.

En attendant la notice sur les Postes sous Louis XIV, qui avait été promise au tome IV, p. 508, pour le volume suivant, et qui n'a pas encore été publiée, M. de B. résume la « mécanique » de ce service. en quelques pages très instructives des Additions et Corrections du tome XVI (p. 661 et suiv.). Ces Additions abondent encore jusqu'à la dernière page en documents inédits.

Dans un article récent de la Minerva, M. Albert Sorel, parlant des éditions des mémoires historiques, citait le Saint-Simon de M. de Boislisle comme un exemple « destiné vraisemblablement, par son excès même de richesse et sa perfection, à demeurer inimitable ». La critique la plus exigeante ne pourra que souscrire à ce jugement. G. LACOUR-GAYET.

Mabillon en Alsace, par A. M.-P. INGOLD. Colmar, Huffel, Paris, A. Picard, 1902, 107 p. in-160. Prix: 2 fr.

Sous un titre d'ensemble, Moines et religieuses d'Alsace, M. le chanoine Ingold fait paraître depuis quelque temps une série de petites monographies intéressantes pour l'histoire ecclésiastique de cette province au xvii et au xvII° siècle. Il vient d'y placer le célèbre bénédictin de Saint-Germain-des-Prés, à cause des deux voyages que Mabillon fit en Alsace, en 1683 et en 1696, et parce qu'il fut un instant question de lui quand il s'agit de nommer un nouvel abbé de Marmoutier, près Saverne, en 1700. Ces deux voyages littéraires (il s'agissait de réunir dans les monastères du pays des matériaux pour ses savants travaux) ne furent bien longs, ni l'un ni l'autre; Mabillon décrivit le premier à son retour à Paris et il a paru, dès 1685, dans le quatrième volume des Vetera analecta; M. Ingold en a donné la traduction en 1893. Le récit du second voyage, fait en compagnie de Dom Ruinart, et rédigé par ce dernier, a été traduit, d'une façon passablement,

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