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Le récit de M. Th. se termine au moment où, à la suite d'une évolution inexpliquée, Isabeau se rapproche de cette faction d'Orléans dont tout paraissait l'éloigner, ses rancunes de famille, ses intérêts, ses traditions et même ses haines de femme. La diplomatie de tous les temps. nous offre d'innombrables exemples de ces sautes de vent, et les hommes du moyen âge 'en particulier nous surprennent souvent par leurs étranges variations. Isabeau, sur ce point aussi, suivait l'exemple que lui donnaient ses contemporains; elle n'avait ni parti ni principes, ni forces ni volonté; elle se débattait dans le vide, au jour le jour, sans savoir bien clairement elle-même ce qu'elle désirait. M. Th. n'a pas pu nous expliquer très nettement les desseins de la reine, d'abord parce que les documents sont rares et incomplets, mais surtout peutêtre parce qu'elle n'avait que de vagues aspirations, qui ne prenaient pas corps dans cet esprit mobile et frivole, et que d'ailleurs tous les moyens d'exécutions lui manquaient. En revanche, cette vaine et capricieuse agitation, qui est le trait caractéristique des contemporains d'Isabeau, nous explique la décadence du royaume et les désastres qui ont suivi. Le récit de M. Th., sans parti-pris, sans déclamation, en suivant de près les faits, nous montre la désorganisation du gouvernement, l'effarement des pouvoirs publics, le morcellement spontané de la monarchie, l'incertitude et l'abaissement des âmes, la corruption et la vénalité et cette sorte de décomposition universelle que cachent mal les fêtes éclatantes et qui ont amené une des crises les plus graves de l'ancienne France. A ce point de vue, l'œuvre de M. Thibault sera lue avec le plus grand intérêt, et l'on a le droit de dire, qu'en dépit de quelques longueurs et de quelques imperfections de détail, son livre est un très heureux début et permet d'attendre avec confiance les futurs travaux du jeune historien.

E. DENIS.

HAUVETTE (Henri). Un exilé florentin à la cour de France au XVIe siècle: Luigi Allamanni (1495-1556); sa vie et son œuvre. Paris, Hachette, 1903. In-8 de XIX-583 p.

Plus de 550 pages sur un personnage politique qui a joué un rôle bien secondaire, sur un écrivain à qui dans son propre pays on ne reconnaît plus guère que certains mérites de forme, c'est beaucoup, dira-t-on. Nul ne le sait mieux et ne le proclame plus haut que l'auteur de ce livre solide, instructif, et qui suppose une connaissance étendue et précise de tout le xvi siècle. Passons donc condamnation, d'autant qu'après tout, long ou court, un livre sur Alamanni était véritablement à faire. Non seulement l'homme est en somme sympathique et nullement dépourvu de talent, mais M. H. n'exagère pas quand il dit que son œuvre est le type le plus

complet du classicisme italien s'essayant à restaurer tous les genres littéraires de l'antiquité. Je n'irai pas jusqu'à dire comme M. H. que Du Bellay a composé, pour ainsi dire, son manifeste au sortir de la lecture de ses livres, mais Alamanni, qui y est cité, a certainement contribué à répandre en France le goût de la régularité latine bien plus compatible d'ailleurs avec notre tour d'esprit qu'avec celui du peuple auquel il la prêchait.

Sur un point seulement, M. H. ne satisfera pas la curiosité de tous ses lecteurs. Il y a chez Alamanni un contraste qui surprendra quiconque n'est pas italianisant de profession. Ce Florentin, dont toute la famille a servi les Sforza de Milan et même les Médicis, qui a d'abord été fort bien avec ceux-ci, entre tout à coup dans une conspiration qui vise non pas seulement à chasser, mais à égorger les Médicis; il y entre si avant qu'à l'aide d'une confusion de noms on a quelquefois fait de lui l'homme chargé de porter le principal coup; obligé de fuir, il revient à Florence dès la deuxième expulsion des Médicis et s'emploie de toutes ses forces à trouver pour les républicains de l'argent et des alliés. Définitivement chassé, le voici qui, sans oublier ses amis et son parti, laisse les Strozzi continuer seuls la lutte, s'installe en France, se fait auteur et non pas auteur de Philippiques républicaines, mais d'ouvrages de toutes sortes où le nom qui revient avec le plus d'insistance, escorté de toutes les flatteries imaginables est ce François Ier qui le pensionne maintenant, mais dont naguère, et non sans motif, il conjurait Florence de n'espérer aucun secours. Comment concevoir une conduite si contradictoire? M. H. s'est évidemment dit que ses lecteurs recourront aux historiens qui expliquent comment, après le grand effort de 1530, l'âme florentine est désormais incapable de suite dans les idées et dans la volonté. Mais tout sujet exige que l'auteur reprenne pour son propre compte les grandes questions qui s'y rattachent indissolublement et qu'il les approfondisse. M. H. l'a si bien senti pour ce qui touche à la vie littéraire d'Alamanni qu'il est revenu sur tous les problèmes que ses œuvres ont soulevés, qu'il a discuté toutes les interprétations même les plus insoutenables, qu'il s'est imposé d'arides calculs pour avoir le droit de confirmer en dernier ressort plus d'un jugement déjà émis par les maîtres de la critique. La vie politique d'Alamanni appelait une courte mais substantielle étude sur les autres proscrits de 1530; à voir les uns exhaler leur colère en grossières invectives, les autres constater l'impuissance de leur pensée lucide et hardie sur leurs concitoyens, les autres accepter les bienfaits de Côme Ier et mettre tant bien que mal d'accord leur gratitude et les restes de leur indépendance, d'autres vieillir obstinément dans l'exil, mais ne plus trop savoir si leur parti avait eu tort ou raison, le lecteur profane aurait compris comme les historiens la conduite d'Alamanni.

Mais le livre réunit les deux qualités auxquelles les gens de métier tiennent le plus : une grande richesse d'informations et un jugement très sûr. M. H. a fouillé dans les moindres détails la vie et l'oeuvre de son personnage. Il le fait aimer pour sa franchise, pour son courage, pour la distinction native qui le préserve d'ordinaire de cette grossièreté où se délasse trop souvent la finesse des Florentins, pour son labeur inventif qui s'essaie chaque jour à ressusciter une des formes de l'art antique. Il loue justement une modestie si peu soucieuse d'étaler ses services et ses amitiés qu'elle s'interdit de suivre la mode du siècle en publiant sa correspondance. Sans donner aussi souvent qu'il conviendrait la parole à son auteur, il met en lumière la part de sentiment, de grâce qui, encore aujourd'hui, anime quelques-unes de ses compositions. D'un autre côté, il ne dissimule ni la pauvreté d'invention, ni la froideur, ni la diffusion qui ont peu à peu détaché de lui le public, tout en distinguant, parmi les ouvrages manqués d'Alamanni ceux qui du moins partent d'une idée neuve. Il a su trouver des œuvres inédites de ce poète jadis si souvent réimprimé (cinq sonnets, onze lettres, plus vingtcinq lettres à lui adressées par les Dieci di balia à l'occasion de ses missions politiques et d'autres documents du même ordre. Il trouvera dans l'édition des écrits de Lorenzino de' Medici que contient la Biblioteca rara de Daelli la mention d'une lettre intéressante d'Alamanni à Filippo Strozzi). Il a rédigé enfin une bibliographie soignée de l'œuvre d'Alamanni.

Le livre est écrit dans une bonne langue; on en détacherait aisément plus d'une agréable page (sur les raisons qui firent aimer la campagne à Alamanni, p. 268; sur le goût du XVIIIe siècle pour la Coltivazione, p. 301; sur certains passages du Girone, p. 310-311) et les fautes d'impression sont, pour ainsi dire, introuvables. Le volume est orné d'un portrait et pourvu d'un index.

M. H. exprime dans sa préface le vœu que les lecteurs désireux de s'instruire ne se reportent jamais à son travail sans en retirer quelque profit: il peut être certain que son vou sera exaucé. On connaît, quand on l'a lu, tout ce qu'a fait, tout ce qu'a dit Alamanni; on sait ce qu'il vaut; car les appréciations sont aussi justes que bien déduites. (Voy. entre autres le passage où M. Hauvette explique comment il gâte l'Iliade quand il veut l'imiter (p. 360 sqq.) et, chemin faisant, on recueille force détails utiles sur tous ceux qui ont eu affaire à lui.

Charles DEjob.

Émile FAGUET, André Chénier. Paris, in-12, 188 pp., Hachette, 1902.

Plusieurs déjà ont dit de quelle haute valeur était ce livre consacré au dernier des poètes classiques et néo-antiques » par le plus avisé

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des critiques littéraires de notre époque, mais c'est chose bonne à redire sans doute et, parmi les ouvrages dont on rend compte, si peu valent le temps consacré à les lire à cause de leur banalité ou de leur insuffisance que si, d'aventure, on en trouve quelqu'un qui suscite des idées, provoque la méditation, éveille des sentiments, instruise à la fois et charme, on est heureux d'en parler et reconnaissant à son auteur. L'André Chénier de M. F. est de ce nombre avec toutes les qualités suggestives d'une érudition profonde, d'une finesse aimable, d'un criticisme informé qui le caractérisent et, de plus, avec un soin du style qui fait parfois défaut aux productions plus hâtives de ce maître.

Issu d'un père Languedocien et d'une mère née à Constantinople, qui voulut, dans son salon du Marais, où elle causait et écrivait en bonne compagnie, faire de son fils « un petit parisien, » Chénier devint plutôt un « polyphile, » épris de la nature, des horizons lointains et ensoleillés, du Languedoc où vivait sa tante, des femmes. qui l'accueillaient, en dépit de sa laideur, grâce à son âme de poète et à son caractère charmant. A peine soldat, il et pour cause, revint vite aux lectures saines et fortes, faites sans choix selon la mode de La Fontaine, et à l'étude des âmes qu'il fouilla profondément.

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Par Ronsard, et par atavisme, il remonta à la Grèce antique dont il absorba, si l'on peut dire, la spontanéité, le naturel, la simplicité grandiose, en y mêlant de sa passion. Et là, M. F. qui, dans ses Études sur le XIXe siècle, a donné d'André Chénier une remarquable vision analytique, nous fait la biographie d'un esprit. Il étudie joliment et finement, à sa façon, la première et la deuxième manière de son écrivain, qu'il accompagne à Paris, à Londres, fait revenir à Paris fréquenter la Société Trudaine, et trouver sa troisième manière. La période religieuse a suivi la période fétichique, et aboutit alors à la période philosophique dans le ton d'Auguste Comte. Et sans doute, s'il eût vécu sa vie, Chénier « aurait montré l'humanité future sortant de cette lente élaboration. » Mais le rasoir national fit tomber, après une détention d'où partirent les Iambes vengeurs, cette tête « qui pourtant avait quelque chose », et Chénier disparut trop tôt. Il n'eut aucune influence sur le mouvement romantique, fut bien réinstauré lors du mouvement parnassien, mais ne nous reste guère que comme le venerandus puer de Virgile, «< avec la beauté pure de l'antique et la grâce de l'inachevé. »

Remercions M. Faguet de nous avoir ainsi disséqué une âme d'artiste, d'avoir écrit un livre définitif sur cette gloire de notre littérature, sur cet homme qui eut le génie de savoir allier les pensers nouveaux à la forme du passé et de faire dériver la France à venir de la Grèce antique, mère des Muses.

Pierre BRUN.

Trois ans de guerre par le général Ch. DE WET, Paris, Juven, in-8°.

De Wet se défend d'avoir voulu faire œuvre d'écrivain, imageant les récits et embellissant les faits. Il a fait mieux la vérité, qu'il nous présente, parle plus haut que les plus sonores périodes.

Ce n'est point l'histoire d'ensemble de cette guerre, qui dura trois années, mais celle de multiples épisodes, marches, bivouacs, conseils de guerre, combats, retraites, auxquels de Wet a assisté, ou qu'il a dirigés. C'est donc une des pierres et non des moindres, qui serviront à édifier l'œuvre complète.

Le général nous apporte l'émouvant témoignage de l'incapacité des milices dans les guerres modernes. « Après la bataille, dit-il, il n'y avait plus de chefs ni de soldats, mais simplement des citoyens : tous étaient égaux dans le commando. Le général et le veldcornet n'avaient pas plus de bien-être que le simple burgher et chacun prenait sa part à la discussion des opérations pour le lendemain. Cette singulière organisation, si éloignée de la hiérarchie des armées européennes, nous valut sans doute des soldats remplis de courage et d'initiative. Chacun donna tout ce qu'il pouvait d'énergie et d'habileté, mais elle nous valut aussi bien des revers, car chacun sait qu'il n'y a pas d'armée possible sans la plus vigoureuse discipline. Les Burghers, habitués à mener la vie paisible et indépendante des fermiers, n'avaient point idée de la discipline militaire et de sa nécessité pour faire la guerre; non pas qu'aucun d'eux fût récalcitrant ou de mauvaise volonté, mais ils ne comprenaient pas leur tâche. Chacun voulait donner son avis et discuter. Cette indépendance, qui, considérée au point de vue militaire apparaît comme de l'indiscipline, causa bien des revers. »

Ces lignes résument tout l'ouvrage. Les opérations restent inachevées, ou s'exécutent trop tard, car chacun discute et..... déraisonne. A la guerre il ne doit exister qu'une volonté, qui, même mauvaise, souvent atteindra son but, si elle le poursuit obstinément.

Puis, nous assistons à des fuites éperdues, comme « un galop de troupeau qu'on poursuit ».

Enfin, conséquence fatale du système des milices, les femmes viennent retrouver leurs maris dans les camps; à certaines époques, les effectifs fondent comme la neige au soleil, et chacun rentre dans sa ferme.

En lisant ces pages, je me reportai cent ans en arrière, et je retrouvai sur notre terre de France des similitudes de situations, des armées improvisées, des soldats paysans, des chefs de hasard, des succès inachevés, des triomphes et des chûtes. Deux noms pourraient s'inscrire en titre du livre: Vendée et Transvaal.

De Wet nous dit la vérité; et peut-être la légende et la poésie, qui entouraient d'une auréole cette lutte héroïque d'un peuple pour la

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