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Pour Othello la tâche du critique est compliquée par l'existence d'un in-quarto paru en 1622, et imprimé probablement d'après une copie d'acteur. En combinant ces deux éditions, tout en conservant à l'infolio sa supériorité, M. B. est parvenu à donner un texte très satisfaisant, sans risquer plus d'une seule conjecture. Pour comprendre l'esprit dans lequel ce travail a été entrepris, on nous permettra de citer un passage de l'Introduction où M. B. compare les différents textes de la pièce : « Dans cet examen, dit-il, je ne ferai entrer en rien ni la préférence littéraire ni les questions de goût. Sur ces questions il ne peut guère y avoir d'entente certaine entre plusieurs éditeurs; chaque éditeur même, pris individuellement, pourrait bien, à quelque intervalle de temps, n'être pas d'accord avec soi-même, tant ces impressions de style et de langue sont délicates et variables. » Et plus loin il ajoute : « Le danger sans doute est d'être trop esclave de ces vieilles impressions qui, n'ayant pas été revues par le poète lui-même, n'offrent qu'une garantie limitée. Mais, si on les abandonne trop facilement, le danger n'est-il pas plus grand encore, et sait-on jamais sur quel terrain on se trouve? >> Il est presque inouï qu'un éditeur de Shakespeare fasse si rigoureusement abstraction de ses préférences littéraires. Nous avons eu à plusieurs reprises l'occasion de signaler dans cette Revue les fantaisies des savants anglais et allemands. Dès qu'il s'agit de Shakespeare, le respect que doit inspirer une œuvre d'art perd sa force. Chacun a un plan suivant lequel il faut restaurer le monument dont à peine quelques pierres ont bougé. On ajoute, on retranche, on transforme. Des mutilations barbares, des interpolations inattendues n'excitent aucune indignation et c'est le public qui se fait le complice ou plutôt qui devient la dupe de ces éditeurs coupables en applaudissant leurs corrections comme du Shakespeare authentique.

De la traduction nous n'avons rien à dire sinon qu'elle a été faite dans le même esprit scientifique. S'attachant à suivre le texte presque mot à mot, elle en reproduit les moindres contours avec une étonnante exactitude. Sans doute on peut rêver un autre procédé de traduction où les épithètes, les images, le style enfin de Shakespeare serait élégamment francisé, mais, dans ce cas, le traducteur devrait colorer l'original de ses préférences littéraires, et c'est justement le danger auquel échappe M. Beljame. C'est à de tels travaux, poursuivis avec l'admirable impartialité de la science, que nous devons de voir déjà, dans l'image traditionnelle de Shakespeare, déformée tantôt par les préjugés de Voltaire, tantôt par l'imprudente admiration des romantiques, une image plus simple, plus grande et plus vraie, transparaître et s'accuser,

Ch. BASTIDE.

· Missions archéologiques françaises en Orient aux xvio et xvi siècles. Documents publiés par Henri OMONT,... - Paris, imp. nat., 1902 2 vol. in-4 de XVI-1237 pages. (Collection de documents inédits sur l'histoire de France.)

Avec la Renaissance et le goût des antiquités et des auteurs grecs, l'attention des bibliophiles et des érudits devait fatalement se tourner vers l'Orient pour tâcher de retrouver les vestiges des anciennes civilisations et de sauver ce qui restait des trésors de la littérature grecque.

Cependant, il fallut arriver jusqu'aux premières années du XVIIe siècle et attendre l'arrivée de Jacques-Auguste de Thou à la garde de la Bibliothèque du Roi, pour reconnaître les premières tentatives d'explorations scientifiques dans les pays soumis à la domination turque. C'est de Thou, en effet, qui eut le premier l'idée de mettre à profit le zèle de nos agents diplomatiques en Orient, pour enrichir les collections royales de manuscrits grecs, hébreux, syriaques, perses, etc.

Les acquisitions qu'il put faire par l'entremise d'Achille de Harlay, ambassadeur de France à Constantinople, témoignèrent qu'il était entré dans une voie excellente. Les successeurs immédiats de de Thou durent négliger pourtant cette source féconde et laisser le champ libre à des rivaux. L'illustre Peiresc fut un de ceux-ci et par ses relations avec les consuls et missionnaires français en Syrie, en Égypte et à Chypre, il augmenta sa belle bibliothèque de médailles, manuscrits, antiquités et curiosités naturelles.

Les explorations vraiment scientifiques commencèrent vers Louis XIV; le cardinal Mazarin et le chancelier Seguier les inaugurèrent à leur profit, au milieu même des troubles de la Fronde. Le premier avait trouvé un excellent auxiliaire dans notre ambassadeur à Constantinople, Jean de la Haye, qui essaya de faire négocier avec ~ les moines du Mont-Athos. Le P. Athanase Rhetor fut un agent pré'cieux pour cette mission; en l'espace de dix ans, il procura à Mazarin et Seguier environ 300 manuscrits grecs. Colbert devait, avec son intelligence habituelle des choses, encourager lui aussi de tels voyages d'investigations. Dès 1667, il chargeait deux Français, MM. de · Monceaux et Laisné, de recueillir en Orient des manuscrits et médailles pour la Bibliothèque du roi ; il leur fit dresser des instructions détaillées par le garde de cette Bibliothèque, Pierre de Carcavy. Les avantages qu'on retira de cette mission déterminèrent le ministre à en confier une nouvelle à un Dominicain allemand, le P. Wansleben (1671), qui avait déjà voyagé en Egypte. Celui-ci parcourut de nouveau l'Egypte, puis la Syrie, l'Asie-Mineure, les îles de l'Archipel, les environs de Constantinople; pendant quatre années, sa récolte en manuscrits et médailles fut extrêmement abondante.

Dans le même temps, nos ambassadeurs et consuls déployaient une

louable activité pour l'accroissement des richesses de la Bibliothèque royale; l'objectif principal des ambassadeurs français à Constantinople était double: pénétrer dans la Bibliothèque du Sultan au Sérail et explorer les couvents de l'Athos. Ils se heurtèrent à de nombreuses difficultés et s'ils finirent par obtenir la connaissance des manuscrits qui s'y trouvaient, ils éprouvèrent des désillusions sur leur valeur et leur nombre. En Egypte, des missionnaires dressaient la relation de leurs voyages; des consuls commençaient à dépouiller le pays des antiquités qu'ils expédiaient en France. L'un d'eux même eut le projet de faire transporter à Paris la colonne de Pompée près d'Alexandrie: les trop grands frais qui devaient en résulter ne permirent pas d'y donner suite.

La très active impulsion de l'abbé Jean-Paul Bignon, nommé bibliothécaire du roi en 1718, stimula encore davantage le zèle des représentants de la France en Orient: il réussit à en obtenir de fréquents envois de manuscrits et de médailles. Mais c'est surtout de la mission des abbés Sevin et Fourmont, tous deux membres de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, désignés par M. Bignon pour partir avec le nouvel ambassadeur à Constantinople, le marquis de Villeneuve (1728), qu'on devait retirer les plus grands profits. Sevin resta à Constantinople auprès de l'ambassadeur, multiplia les démarches, envoya partout à la recherche des manuscrits et livres rares, traça des instructions aux consuls et missionnaires, fit de très importantes acquisitions d'ouvrages grecs, syriaques, arméniens, hébreux, etc., nous même des relations avec le prince de Valachie, dont il aurait été heureux d'acheter les livres les plus précieux, fut enfin un véritable conquérant scientifique. Son compagnon de mission, Michel Fourmont, l'avait quitté pour la Grèce : il eut le regret de ne trouver aucun ouvrage digne d'entrer dans la Bibliothèque du roi; par contre, il fit de nombreux relevés archéologiques avec l'aide de son neveu ClaudeLouis Fourmont, entreprit des fouilles très importantes, notamment à Sparte, et forma un volumineux dossier d'inscriptions antiques. Le zèle qu'il déploya serait peut-être aujourd'hui jugé quelquefois inconsidéré ses fouilles hâtives et ses démolitions plus ou moins méthodiques ont dû contribuer à la perte de monuments précieux. Mais il faut songer qu'il opérait en plein XVIIIe siècle, avec peu d'argent et beaucoup trop peu de temps.

L'abbé Bignon, qui après la mission Sevin-Fourmont, fit continuer ses heureuses explorations de l'Orient grec, fut aussi le premier qui mit à profit les facilités que nos religieux et commerçants venaient d'obtenir de pénétrer dans l'Inde et en Chine. Il procura à la Bibliothèque royale par ce moyen les premiers fonds de manuscrits hindous et de livres chinois.

Les documents relatifs à toutes ces missions et négociations et publiés par M. H. O. dans les deux volumes cités ci-dessus, sont des

plus curieux et des plus intéressants. Les lettres, relations et mémoires rédigés sur l'Egypte, la Grèce, le Mont-Athos, Constantinople, constituent de précieux éléments d'informations sur l'état de ces pays, en même temps qu'ils fournissent des détails circonstanciés sur les monuments antiques qu'on voyait encore aux XVIIe et XVIIIe siècles. A toute espèce de points de vue, ils méritaient donc d'être mis à jour. Il est à peine besoin d'ajouter qu'ils permettent de retracer l'histoire de plusieurs fonds très riches du cabinet des manuscrits de la Bibliothèque nationale et d'établir la filiation de nombreux volumes, surtout de ce fonds grec, que M. Omont met en valeur avec tant de zèle et de science. Leur éditeur vient donc de s'acquérir de nouveaux titres de reconnaissance, non seulement de la part de ceux qui étudient la littérature grecque, mais encore des archéologues de l'antiquité et des historiens orientaux.

L.-H. LABANDE.

Les garnisons de la Barrière dans les Pays-Bas Autrichiens (1715-1782). Etude d'histoire politique et diplomatique par Eugène HUBERT, professeur à l'Université de Liège, Bruxelles, J. Lebègue, 1902, 399 p. 4°.

M. Eug. Habert est un de ceux qui, dans les vingt dernières années, ont le plus notablement enrichi la littérature historique sur les Pays-Bas autrichiens au XVIIIe siècle. Nous avons récemment eu l'occasion d'annoncer dans la Revue son mémoire sur la Torture aux Pays-Bas autrichiens pendant le xvш° siècle (1877) et son étude sur le Voyage de l'empereur Joseph II dans les Pays-Bas en 1781 (1900). Ayant découvert naguère aux Archives de Bruxelles deux pièces de 1751, dans lesquelles de hauts fonctionnaires autrichiens, le baron de Keerle et le comte de Neny, exposaient les griefs multiples de l'administration entre les garnisons hollandaises établies sur les terres de la Maison d'Autriche, M. H. a eu la curiosité de continuer ses recherches dans cette direction nouvelle et a découvert peu à peu, soit dans la capitale même de la Belgique, aux dépôts de l'ancienne Chancellerie du Conseil privé, de la Secrétairerie d'Etat, soit aux Archives Royales de La Haye, soit dans les archives municipales de Namur, Tournay, Ypres, soit encore à Vienne, des dossiers restés inconnus à ses devanciers, Willequet, de Borgnet, Rahlenbeck, etc. Ceux-ci avaient traité principalement la question de la Barrière au point de vue des événements politiques et des incidents diplomatiques qui s'y rattachent, M. H. au contraire, tout en ne négligeant pas la question des origines, qui remonte à 1673, s'est attaché à nous faire connaître. les résultats, généralement désagréables pour le gouvernement autrichien, de la présence des garnisaires étrangers dans les sept places de son territoire, que le traité du 16 novembre 1715 l'obligeait à y

recevoir, afin de protéger les terres d'Autriche contre l'invasion française. Ces désagréments étaient de nature variée et M. H. les expose d'une façon très impartiale, très lucide et avec abondance de détails caractéristiques empruntés aux dossiers réciproques de Bruxelles et de La Haye. En première ligne de leurs griefs, les magistrats des villes de la Barrière mettaient l'obligation de tolérer l'exercice du culte des garnisaires hérétiques et la présence de leurs aumôniers en vertu de l'article IX du traité, mais surtout ils protestaient contre la tolérance illégale, que les commandants de ces places accordaient à d'autres hérétiques, sujets autrichiens ou étrangers, qui n'étaient nullement protégés par la lettre ni par l'esprit de la convention'. Les Etats-Généraux des Provinces-Unies soutenaient d'ordinaire leurs représentants militaires dans ces querelles confessionnelles et lorsqu'on réclamait trop violemment auprès d'eux, de la part du gouvernement central des Pays-Bas, ils rappelaient aux archiducs qu'il y avait aussi des catholiques chez eux et menaçaient d'user de représailles; cette manière d'agir ne laisse pas d'être le plus souvent efficace, mais on comprend qu'elle surexcitât les dévots qui voulaient également voir dans l'attitude des commandants hollandais vis-à-vis des processions, etc., un outrage calculé à leur zèle religieux. En matière de police, ils n'étaient guère moins odieux au clergé puisqu'ils refusaient de respecter l'absurde droit d'asile en faveur des déserteurs qu'une législation surannée accordait encore aux églises et aux couvents et que la rigueur des consignes militaires gênait naturellement les habitants de la cité. Ils l'étaient aussi parce qu'ils réclamaient le droit de chasse et de pêche, que dans certaines localités (à Tournai par exemple), les chanoines et les curés s'étaient réservés ; ils l'étaient, à meilleur droit, au gros du public parce qu'ils frappaient des taxes vexatoires, parce qu'ils faisaient, par leurs ouvriers militaires, une certaine concurrence aux corps de métiers 3, concurrence aussi aux aubergistes autochthones par leurs cantines et qu'ils pesaient lourdement sur les finances des villes par les logements militaires et toute une série d'autres mesures, plus ou moins gênantes, que l'auteur examine très en détail. Les rixes, les violences et les sévices ne manquaient pas non plus, comme on pense bien, entre civils et militaires, mais cependant les faits vraiment graves (meurtres, viols, etc.) semblent avoir été passablement rares dans ces centres de population où le bourgeois

1. Il était incontestablement irritant pour un gouvernement aussi catholique que celui des Pays-Bas, de voir se former ainsi contre son gré, sur son territoire, des communautés d'hérétiques, et de voir généralement ses plaintes à La Haye écartées sans longues discussions.

2. En plein xvIIe siècle il refusait à ses sujets le droit de s'expatrier pour rester fidèles à leur foi (p. 71.)

3. De leur côté les officiers hollandais se plaignent naturellement qu'on « écorche le pauvre soldat ».

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