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prenait évidemment quelque plaisir à faire endêver les soldats et où le militaire rendait volontiers la pareille aux civils. De tous les innombrables détails accumulés par M. H., se dégage pour nous l'impression générale de la grande débilité politique de ce gouvernement des Habsbourgs d'Autriche et celle aussi d'un certain obscurantisme intellectuel et moral dans les couches élevées, d'une soumission complète des masses à l'omnipotence cléricale qui ne craint pas d'user à l'occasion de moyens répréhensibles pour exciter les esprits'. On comprend donc parfaitement que la population tout entière ait applaudi quand, à la suite de nouveaux arrangements diplomatiques, les garnisons hollandaises évacuèrent en 1782 leurs places fortes, où elles laissèrent un peu agréable souvenir; mais on ne peut trop en vouloir non plus aux Hoochmogende Staaten General d'avoir secoué de temps à autre ces esprits réfractaires à tout progrès, pour leur faire faire, quoique bien à contre-coeur, quelques pas dans la voie de la tolérance obligatoire. En cela du moins, les garnisons de la Barrière, cette << institution néfaste pour la Belgique », ont eu quelque utilité pratique et M. Rahlenbeck n'avait pas si tort de le proclamer; mais M. H. a raison, lui aussi, d'accentuer que ces professeurs de tolérance eurent le verbe trop haut et la main trop lourde pour qu'on pût prendre le moindre plaisir à leurs leçons 2.

R.

E. DENIS, La Bohême depuis la Montagne Blanche, t. I; Le triomphe de l'Église. Le centralisme, t. II; La renaissance tchèque. Vers le fédéralisme, 2 vol. in-8°, pp. 644 et 675. Paris, Leroux, 1903.

A la Montagne Blanche, la Bohême perd le reste d'indépendance qu'elle avait jusque-là conservé dans la monarchie autrichienne, elle devient, en fait, une province. Une réaction catholique impitoyable, prolongée pendant plus d'un demi-siècle, prépare le terrain pour la fusion politique complète, qui s'accomplit, sous Marie-Thérèse, par la centralisation administrative: la Bohême, à ce moment (1749) disparaît jusqu'au nom dans l'État autrichien, unitaire et d'apparences allemandes. De la nation tchèque qui, avant 1620, dominait le pays et gouvernait l'État, il ne subsiste que la foule anonyme des paysans, des artisans, des ouvriers, portant dans la servitude et sous l'oppres

1. C'est un cas typique que celui du prédicant Dipeluis d'Anvers, accusé par le comte de Cobenzl de haute trahison pour avoir illuminé en l'honneur de la victoire de Leuthen par les Prussiens; on fait une longue enquête et il est prouvé que tout est mensonge et que tout provient du dire d'un P. Minime, qui doit avouer finalement qu'il ne sait rien et n'a rien vu (p. 264.)

2. P. 38, 1. 9. lire Charles VI pour Charles II.

sion étrangère leur dur destin; la Bohême a perdu ses « entraîneurs » (I, 87). Vers 1775, quelques hommes, philologues, littérateurs ou simples patriotes, esprits curieux et cœurs « sensibles », commencent à s'intéresser à ce peuple qui meurt, et s'attachent, non point à le disputer à la mort tant l'entreprise semblait alors vaine - mais à adoucir et à ennoblir sa fin, en lui rendant une langue et une littérature, pour lui ouvrir le trésor des idées nouvelles, Contre leur propre attente, ces hommes deviennent les « éveilleurs » de la nation; aux linguistes et aux poètes succèdent les historiens, qui rendent ses titres au peuple tchèque, et dégagent du vague sentiment panslave des premiers << éveilleurs » la pure conscience tchèque; l'union de l'élite intellectuelle et des masses populaires, condition nécessaire de la renaissance nationale, est scellée définitivement. 1848 marque, avec l'effondrement de l'ancien régime, la rentrée des Tchèques dans l'action politique, et depuis lors, la nation combat pour reconquérir son influence légitime et régler, suivant ce qu'elle tient pour son droit et son intérêt, les rapports de la Bohême avec la dynastie et avec la monarchie, c'est-à-dire l'ensemble des États des Habsbourgs. L'étude historique de M. Denis aboutit d'elle-même à une conclusion politique sur l'irritante et complexe « question d'Autriche ». C'est qu'en Autriche la politique est avant tout de l'histoire : le conflit d'intérêts des races diverses n'aurait jamais atteint le degré d'exaspération où nous le voyons parvenu sans les revendications et les rancunes historiques entre Tchèques et Allemands, en Bohême et en Autriche, une entente est possible, mais entre la domination « historique » des Tchèques en Bohême et l'hégémonie « historique » des Allemands en Autriche, entre le droit d'État de la Bohême et la théorie des « pays ayant fait partie de la Confédération germanique ? » Avec une clarté doublement méritoire dans un sujet si embrouillé, M. D. expose l'origine et l'évolution des programmes et des partis politiques et nationaux, en Bohême et dans toute l'Autriche; il offre à son lecteur, - sous réserve des quelques corrections qu'appellent son point de vue spécialement bohême et ses sympathies tchèques, hautement proclamées, tous les éléments d'une opinion fondée et raisonnée sur les affaires autrichiennes. Cette excellente histoire de la Bohême est aussi le meilleur livre que nous possédions sur la question d'Autriche.

La période de l'abaissement, puis du réveil national, la plus intéressante peut-être de l'histoire de la Bohême, en est à coup sûr la plus difficile à traiter. Impossible de se borner aux faits politiques : la Bohême politique, au xvir et au XVIIIe siècles, c'est une aristocratie

1. Un groupe de plus en plus nombreux parmi les Allemands d'Autriche revendique pour l'allemand le monopole de la situation de langue officielle en Cisleithanie, après séparation de la Dalmatie et de la Galicie, parce que le territoire ainsi délimité était jusqu'en 1866 partie de la Confédération germanique.

parasite, un gouvernement et une administration étrangers : le peuple tchèque, décapité par la réaction, a été rayé pour deux siècles du nombre des vivants. Et pourtant, c'est ses masses opprimées, gardiennes inconscientes d'un précieux dépôt, c'est les ouvriers de la renaissance littéraire qu'il faut connaître pour comprendre la Bohême vraie, d'alors et d'aujourd'hui ; c'est l'histoire de la société, des mœurs, des lettres, des idées qu'il faut posséder et exposer. M. D. s'est acquitté brillamment de cette tâche, montrant ainsi à nouveau cette universalité d'information à laquelle il doit son autorité jusqu'en Bohême. Ses chapitres sur la condition des paysans et des artisans ou sur le mouvement littéraire sont les plus intéressants, et, pour nous, les plus neufs : l'État politique et social de la Bohême sous Léopold Ier, par exemple, ou encore Le Réveil national (liv. I du second volume). En passant, il projette sur plus d'une question mêlée à l'histoire de la Bohême, mais d'intérêt général, une lumière nouvelle : il recueille et fait connaître les résultats du travail historique tchèque : le tableau de l'action des Jésuites en Bohême (I, 266-281), composé en grande partie sur des sources tchèques, est une contribution précieuse à l'histoire des méthodes de la compagnie; le Waldstein que M. D. nous présente, d'après MM. Dvorsky et Pekar, diffère sensiblement du Wallenstein traditionnel. L'exposition de ce livre fortement documenté est claire, presque toujours simple, alerte, animée. M. D. est pour l'histoire vivante; les prétentions de « l'histoire dite scientifique » (I, 127) ne lui en imposent pas; il fait à l'imagination sa part et lui donne ses droits. Il est attiré par le portrait, le tableau, l'analyse psychologique, et c'est tout profit pour le lecteur. Citons seulement le Ferdinand II du premier chapitre (I, 19-22), et, dans un autre genre, les quelques pages sur la noblesse féodale de Bohême (I, 168, 318-319; II, 184-187), qui sont un modèle de finesse et de pénétration: comment l'orgueil et l'intérêt de caste ont transformé en aristocratie bohême les descendants des aventuriers espagnols, italiens et wallons auxquels Ferdinand II avait distribué les dépouilles des grandes familles nationales, pourquoi ces usurpateurs étrangers sont devenus les tenants les plus fidèles du droit d'État bohême, il est impossible de mieux expliquer cette évolution décisive pour l'histoire de l'Autriche, en aussi peu de mots, avec plus de profondeur dans la pensée et de bonheur dans l'expression.

Par trois côtés surtout, M. Denis offre prise à la critique. — 1o Il lui arrive, pour faire vivre l'histoire, de la retoucher, légèrement et de très bonne [foi. Son imagination, qu'il laisse volontiers courir, l'entraîne souvent trop loin. Plus d'un de ses portraits vaut plus par l'art que par la vérité : Leo Thun est noirci à l'excès (II, 269-282), et Bach trop blanchi (II, 338-339); de Joseph II, peut-on vraiment dire (I, 523526) que son intelligence était « courte, superficielle et frivole »? Dès que l'imagination s'emporte ainsi, le style change : il se tend, se bour

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soufle, devient emphatique, déclamatoire. On voit d'ailleurs l'historien faire effort aussitôt pour se ressaisir : s'il conteste qu'on puisse parler du libéralisme de Joseph II, immédiatement il se corrige luimême (II, 548-529); s'il énumère les torts de Joseph envers le peuple tchèque, d'avance il a compté (I, 495-496) les services qui les compensent. Ses jugements balancés, qui laissent le lecteur sous une impression d'incertitude (I, 495-496, 523-6; II, 204-206, par exemple) montrent bien la volonté de se mettre en garde contre l'entraînement de ses sympathies. 2o Ces sympathies, il les a, dans sa préface, loyalement déclarées elles vont toutes aux Tchèques; il fait des vœux pour la cause de la Bohême. Il n'est donc pas indifférent, mais il veut être impartial, sans faiblesse pour ceux qu'il aime. Il dévoile, sans réticence et sans pitié, les erreurs de la politique tchèque : des hommcs et des idées, il dit ce qu'il pense, avec des ménagements parfois dans la forme, toujours avec franchise : à preuve ses jugements sur Trojan (II, 241, presque identique à celui de Springer, qui n'est pas tendre pour les Tchèques, Gesch. Oest., II, 174), sur Rieger (II, 253), sur les fautes des chefs tchèques en septembre, 1848, en 1867, en 1870 (II, 332, 499-501, 521). Il ne se croit pas tenu d'adorer l'idole du droit d'État, et ne cache pas aux Tchèques combien leur a nui leur attachement obstiné à ce programme suranné, et combien il aurait mieux valu substituer au droit historique le droit naturel, le droit moderne des peuples (II, 552-553). Est-ce pour racheter cette indépendance de jugement qu'il embrasse les rancunes et les passions de ses amis, et devient injuste pour leurs ennemis? Schmerling avait ses ridicules, mais il avait des qualités; Herbet était un doctrinaire étroit, mais aussi un orateur abondant et précis, et surtout un logicien redoutable; ni l'un ni l'autre n'avait une tâche facile : l'un et l'autre nous sont présentés en caricature (II, 427-428, 445, 517). Brestel manquait d'élégance, mais non de dignité simple et de courage. Giskra était un personnage peu recommandable: au procès Ofenheim, il eût mérité de figurer comme accusé; mais il n'y était que témoin, et l'on ne doit donc pas dire qu'il «< finit en police correctionnelle » (II, 457). Peut-on voir autre chose que l'obsession des polémiques actuelles dans l'emploi, significatif par son anachronisme, du mot « pangermanisme » (I, 117, 124, 137, 379; II, 232), dans l'accusation portée (II, 249) contre les Allemands d'avoir, en 1848, voulu sacrifier l'Autriche à l'Allemagne ce qui n'est vrai que d'une infime minorité, dans les arrière-pensées de trahison vaguement prêtées à tous les partis allemands depuis 1860? Et comme, par ailleurs, M. D., redevenu historien, convient (II, 323) qu'en 1848 les Allemands ne voulaient pas de mal à l'Autriche, comme il parle (II, 346) de « l'alliance naturelle » des Tchèques et des Allemands, comme il reconnaît (II, 592) le loyalisme de l'ancienne gauche allemande, comme sa conclusion optimiste (II, 666 sqq.) exclut évidemment l'idée que les Allemands

de Bohême soient en majorité des pangermanistes, la clarté ordinaire de la pensée souffre de ces contradictions, et plus d'un lecteur s'en trouvera un peu désorienté. Et n'est-ce pas aussi faire une trop grande concession au point de vue tchèque, n'est-ce pas trop voir l'Autriche de Prague, que de faire découler toutes les difficultés actuelles de la monarchie de << la substitution d'un régime de centralisation au fédéralisme historique »? (I, 458). Cette explication trop simpliste, qui néglige les influences auliques et catholiques, les chimères si longtemps caressées d'empire universel, donne-t-elle bien une idée juste de l'histoire de l'Autriche depuis cent cinquante ans? - 3° Pour donner cette idée juste, M. Denis aurait dû encore mettre en bien plus vive lumière le fait capital de cette histoire depuis 1860 : le rôle joué, l'influence exercée par la Hongrie. Il indique à peine, en passant, un trait pourtant essentiel : la politique tchèque du droit d'État et de la résistance passive est une copie, due aux féodaux, de la politique hongroise de 1849 à 1865; et l'erreur des Tchèques a été de s'y obstiner, bien que leur situation historique et géographique fût toute différente de celle des Magyars. Il ne montre pas non plus assez clairement que, dans les crises de la politique intérieure autrichienne, en 1867, en 1871, et depuis 1895, c'est l'intervention de la Hongrie qui toujours a été décisive. Il y a là une situation qui dérive nécessairement du dualisme, et qui durera sans doute aussi longtemps que la lutte entre les Tchèques et les Allemands paralysera l'Autriche en face de la Hongrie. C'est une des données fondamentales de l'histoire contemporaine de l'Autriche et du problème autrichien en général, et elle ́a assez d'importance, même au point de vue spécialement tchèque, pour mériter d'être fortement soulignée.

Pour les noms propres tchèques, M. Denis a voulu adopter une transcription qui en rende fidèlement la prononciation. Mais est-ce bien la prononciation qui importe ici, et non plutôt l'orthographe ? et le système de M. D. ne complique-t-il pas les recherches, en obligeant le lecteur à restituer d'abord l'orthographe tchèque ? Les noms géographiques, par exemple quand on les trouve dans nos atlas y sont écrits à la tchèque: il nous faudra rechiffrer Budiéjovitse en Budejovice, pour le découvrir sous Budweis. Pour le lecteur non spécialiste, le système n'a pas d'avantages; pour celui qui est au courant du sujet, il a l'inconvénient de le dépayser et de le dérouter: il faut un instant de réflexion pour reconnaître Palacky dans Palatsky. D'ailleurs les transcriptions sont faites sans règle fixe : lej tchèque est rendu tantôt par j, tantôt par i, tantôt encore par y; le ch, quelquefois par kh, plus souvent par ch, ce qui prête à confusion avec le s transcrit de même; le parfois par rj, ce qui est logique, fréquemment par le rz polonais (où est alors l'avance?); u par u ou par ou. Pourquoi, d'ailleurs, borner au tchèque cette orthographe phonétique? M. D. a risqué Saatz, Lintz, Leitmerits, Roumbourg, mais il a

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