網頁圖片
PDF
ePub 版

songer raisonnablement à éditer l'une sans l'autre les deux œuvres du philosophe sicilien? Peu de poèmes, sans doute, sont aussi disparates que sa Physique matérialiste, et ses Purifications spiritualistes. Mais on voit aux méprises commises par les devanciers de M. Diels', combien, dans les fragments, la part de chacune des deux œuvres est difficile à déterminer.

Pour chaque auteur, M. D. donne successivement les testimonia vitae (ce qui nous vaut une édition scientifique de six des vies de Diogène Laërce), les testimonia carminum, doctrinae, et enfin les fragments.

M. D. a eu l'heureuse idée de détacher les lemmes des notes critiques, pour les placer en tête des fragments: grâce à cette disposition, on se retrouve sans peine dans la masse des renseignements que l'éditeur a accumulés sur un très petit espace 2. Les sources des fragments sont soigneusement classées; un système ingénieux de signes permet de voir immédiatement quelles citations sont sans intérêt pour la constitution du texte. Quant à l'apparat critique, il est muni de notes justificatives qui en font un commentaire extrêmement approfondi.

M. D. traite le texte de ses fragments en homme qui les a longuement médités, et qui connaît admirablement la langue et les idées de ses auteurs. Maintes fois, il corrige des altérations que même un lecteur attentif n'aurait pas soupçonnées. D'autre part, il ne tombe dans aucun des excès de la correction et de la conjecture. Il respecte notamment les formes dialectales de la tradition. S'il avait suivi une pratique à laquelle Kaibel lui-même a fait des concessions dans sa Doriensium comoedia, M. D. aurait ramené la langue des poètes philosophes à ce qui passe pour la norme du dialecte épique. Mais, d'abord, ce que l'on prend pour le dialecte épique, est en grande partie l'œuvre des éditeurs alexandrins. Appliquer une couche de formes épiques ou homériques sur les fragments de Parménide et d'Empedocle, ce serait risquer de faire disparaître bien des traces de particularités italiotes ou siciliennes. Les pièces de vers qu'on a retrouvées gravées sur des pierres, les copies anciennes de Solon et de Bachylide, ont montré que les dialectes poétiques des Grecs furent moins fixes que les modernes ne l'avaient cru longtemps. Pour le moment, dit M. Diels, il convient d'éditer les fragments « dispari potius et incompto quam fucato sermone. » On ne peut qu'approuver.

1. Mullach, par exemple, rangeait dans le début du Пept púcew; la plupart des fragments des Καθαρμοί.

2. Je me demande si la concision n'est pas poussée parfois un peu trop loin. Par exemple, p. 78, 1. 24, on a lu longtemps: xal autòç čreita aûcaïç èvτetuynxévat; l'apparat critique ne le dit pas; 80, 32, M. D. imprime éμbátaç yaλxã; sans rien annoter; on sera embarrassé devant cet adjectif féminin (Strabon, cité p. 85, n° 16, donne d'ailleurs eu6a6wv).

Ce n'est là d'ailleurs qu'une des applications de la méthode prudente et sûre suivie par l'éditeur dans toute la reconstruction et dans la disposition des fragments, méthode dont il avait déjà donné un spécimen dans son édition d'Héraclite, et qu'il a caractérisée luimême dans la belle introduction de son Parménide : « Celui qui veut publier aujourd'hui le poème de Parménide, disait en substance M. Diels, se proposera un but tout autre déjà que même le plus récent de ses devanciers, Henri Stein, l'élève de Ritschl. La génération d'alors espérait encore pouvoir rendre à ses textes leur forme primitive, les éditer tels qu'ils furent en sortant des mains de leur auteur. Et les exigences auxquelles on soumettait alors les œuvres classiques, pour qu'elles fussent d'accord avec l'idéal de perfection qu'on leur attribuait, étaient si élevées, et en même temps s'inspiraient tellement des conceptions modernes, que l'on était entraîné à toute espèce de hardiesses. Le poème de Parménide dut ainsi subir des émendations et des remaniements, on supposa que les fragments conservés avaient des lacunes, on les expurgea au moyen de l'athétèse, bref on ne recula devant aucune des opérations autorisées par «< la méthode » pour donner à ce qui restait du poème la perfection esthétique qu'un contemporain d'Eschyle et de Pindare était, en l'an 1867, censé avoir réalisée. » La tâche que M. D. se propose est plus modeste c'est de comprendre ce qui nous a été conservé, et de voir comment cela nous a été conservé. Je ne pourrais d'ailleurs donner la moindre idée ici de tout ce que M. D. a écarté en fait d'erreurs et de bévues anciennes et modernes, de tout ce qu'il a découvert de fragments nouveaux (dix rien que pour la Physique d'Empedocle), bref de tous les progrès que lui devront les textes de ses philosophes, et ce serait répéter, sans utilité, des éloges qui ont été faits à propos de chacune des éditions publiées par M. Diels.

Après le texte des fragments, on trouve à la fin du volume les tables de concordance, et un index verborum où tout est relevé, sauf les moins intéressantes des particules pour celles-ci, M. D. se contente d'indiquer par deux chiffres superposés, combien de fois la particule est employée par chaque poète, et quel est le nombre des vers que l'on possède de cet auteur: de la sorte, un simple coup d'œil jeté, par exemple, sur l'article yap, montre que les poètes les plus anciens emploient la conjonction beaucoup plus que leurs épigones.

Ce serait faire injure à M. Diels que de dire de son recueil qu'il remplace avantageusement celui de Mullach, de ce Mullach qui avait réussi, lui, à faire moins bien que plus d'un de ses devanciers. Cette collection de fragments, qui servira de modèle aux travailleurs de plus d'une génération, est l'œuvre d'une activité scientifique dont il

1. Voir Revue critique, t. LII, p. 302.

2. Parmenides Lehrgedicht, griechisch und deutsch, Berlin, Reimer, 1897.

serait donné à peu de tempéraments de supporter l'âpre et incessant labeur. Tous ceux qui s'intéressent à la connaissance de l'antiquité et à l'histoire de la philosophie et des sciences, éprouveront un sentiment d'admiration et de reconnaissance devant le travail gigantesque et le puissant effort de pensée qui vient de leur donner coup sur coup les Poetarum philosophorum fragmenta et Die Fragmente der Vorsokratiker.

J. BIDEZ.

T. Lucreti Cari De rerum natura edited by H. A. J. MUNRO; Lucrèce, De la nature, Livre III; texte latin, accompagné du commentaire critique et explicatif de H. A. J. MUNRO; traduit de l'anglais et mis au courant des travaux les plus récents par A. REYMOND. Paris, C. Klincksieck. 1903, vII-103 pp. in-8°.

Il y a neuf ans que M. Reymond a publié la traduction du livre II du Lucrèce de Munro. Depuis lors, Giussani a donné son édition. D'autre part une édition du livre III par M. R. Heinze et l'édition du texte par M. Brieger sont les principaux travaux qui ont renouvelé la critique et l'interprétation de Lucrèce. M. Reymond a cru nécessaire de compléter, d'après ces ouvrages, le commentaire de Munro. C'est surtout à Giussani qu'il a fait des emprunts.

L'entreprise était délicate. L'œuvre de Munro a un caractère très défini : elle est avant tout littéraire. Munro était humaniste et philologue. La philosophie tient une place secondaire dans son œuvre. Giussani est, au contraire, un historien de la philosophie dans son édition de Lucrèce. A vouloir combler les « lacunes » de Munro, on risquait donc d'altérer profondément la physionomie de son œuvre.

M. R. n'a pas toujours été heureux dans ce travail, peut-être impossible. Il eût fallu, d'abord, respecter le texte de Munro et ne rien supprimer. La préface annonce le contraire : « Nous avons dû pratiquer quelques coupures dans le travail de Munro, mais nous n'avons rien sacrifié d'essentiel. » Cet avis est inquiétant. De fait, les lettres et les historiens de la poésie latine regretteront de ne plus trouver, n. du v. 449, la liste des passages parallèles de Virgile et de Lucrèce; les métriciens, n. du v. 1042, la discussion de la théorie de Lachmann. sur les parfaits en -iit.

Il eût été nécessaire aussi d'employer un moyen clair et toujours le même pour distinguer les additions à Munro. M. R. a employé tous les systèmes les crochets droits, par lesquels Munro signale luimême ses propres additions; les guillemets, les initiales, le nom entre parenthèse à la fin de la note. Telle note commence par le commentaire de Munro et finit par la critique de Munro, sans que le lecteur soit averti par un signe sans équivoque du changement d'auteur (p. 44, note des vers 526-547; p. 57, v. 717). Très souvent, une note

de M. R. résume et discute les opinions de Giussani, de MM. Heinze et Brieger, sans crochets ni signature voy. v. 239, 404, 487, etc. M. R. y mêle son jugement personnel (v. 492) ou celui de ses amis (conjecture de M. Le Coutre, v. 132, mais entre crochets). Peu à peu, l'édition prend un aspect nouveau; ce n'est plus l'édition Munro, ce n'est pas cependant l'édition Reymond.

Ces observations n'empêchent pas que le travail de M. R. ne soit utile et consciencieux. Il rendra de grands services, malgré la méthode flottante de l'adaptation. Les additions seront bien accueillies des étudiants; car elles ne dispensent pas les professeurs d'avoir Giussani. M. R. peut continuer sur ce plan nouveau pour les livres suivants, à condition de ne rien supprimer et de mieux établir la démarcation entre Munro et ce qui lui est étranger.

Le livre IV est annoncé comme prochain. Nous souhaitons vivement qu'il paraisse bientôt et que M. Reymond achève rapidement sa tâche, d'autant plus méritoire qu'elle est plus modeste et plus désintéressée '.

Paul LEJAY.

La Suède sous la République et le premier Empire. Mémoires du lieutenantgénéral de Suremain (1794-1815), publiés par un de ses petits-neveux. Paris, Plon-Nourrit et Comp., 1902, VI, 392, in-8, portraits.

Les Mémoires de M. de Suremain compteront assurément parmi les plus intéressants de tous ces nombreux Souvenirs que les dernières années nous ont apportés du monde de l'émigration, non pas seulement parce qu'il nous introduisent dans des sphères un peu différentes de celles que nous ont fait connaître tant de récits analogues, mais par le ton même du narrateur. L'auteur a pu dire de lui-même, dans sa préface, sans trop se flatter, qu'il avait écrit ses mémoires << avec bonne foi, indépendance et simplicité » et le lecteur, en contrôlant ses dires, ne songera pas à lui donner un démenti. M. de Suremain, d'origine bourguignonne, n'avait pas trente ans, et était capitaine au régiment de La Fère, quand « les progrès de la Révolution le déterminèrent à émigrer ». Après une première campagne à l'armée des princes, il fut introduit par son ex-collègue, M. de Parseval, chambellan du prince Henri de Prusse, à la petite cour de Rheinsberg, où il ne fit d'ailleurs que passer. Dès 1794 nous le trouvons en Suède, où il fut incorporé à l'armée et désigné bientôt comme

[ocr errors]

1. M. R. n'a pas été toujours bien servi par son imprimeur: p. 20, fin de la n. du v. 247, crochet omis; p. 72, n. du v. 877, l. 4, lire reicitque; p. 74, fin de la n. du v. 895, lire Willmanns; p. 90, n. du v. 1061, lire Oudendorp. · P. 5, n. du v. 57, « pamphlet » est un anglicisme; p. 11, n. du v. 135, lire: Philopon; p. 33, v. 412, il eût fallu dire : « la moitié d'un m final ».

précepteur militaire du malheureux déséquilibré qui porta la couronne sous le nom de Gustave IV-Adolphe '. Adjudant du duc de Sudermanie, l'oncle du roi, il se distingua dans la campagne désastreuse de Finlande, puis, quand son protecteur fut devenu roi à son tour, sous le nom de Charles XIII, il occupa le poste élevé d'inspecteur-général de l'artillerie suédoise. Mais il se brouilla avec le nouveau prince royal, Bernadotte, quitta la Suède en mai 1815, après avoir pris part encore à la campagne de Norvège, et rentra au service des Bourbons comme lieutenant-général et lieutenant du roi à Metz. Il avait été d'ailleurs rayé de la liste des émigrés par le premier Consul, dès 1803, et autorisé par lui à continuer son service dans l'armée suédoise. M. de Suremain ne resta plus longtemps sous les drapeaux, et, après s'être retiré dans la vie privée, il y acheva les mémoires, commencés longtemps auparavant, alors qu'il habitait Stockholm: il est mort à Dijon, en 1835. C'est l'un des membres de sa famille, M. G. de Suremain, qui les a mis au jour avec le concours de M. Léonce Pingaud Auparavant déjà, ce récit autobiographique n'était pas entièrement inconnu; M. Pingaud l'avait utilisé dans son livre Bernadotte, Napoléon et les Bourbons et M. le baron Ernouf en avait tiré parti, lui aussi, dans son article Comment Bernadotte devint roi. On ne peut que se féliciter d'en posséder aujourd'hui le texte complet; l'auteur a le grand mérite de ne parler dans ces pages que « de ce qu'il sait pertinemment », d'être singulièrement affranchi de toutes les faiblesses, les colères, les injustices ordinaires de l'émigration, ce qui donne du poids à ses affirmations sobres et précises, et permet de l'en croire, alors même qu'il contredit des allégations de source plus ou moins autorisée. On le consultera surtout sur deux chapitres également intéressants de l'histoire intérieure de la Suède à cette époque. Tout d'abord c'est un témoin de grande valeur sur la révolution de mars 1809, car il a vécu dans l'intimité de la victime royale et de ceux qui l'ont détrôné, et ce qu'il dit sur la mentalité du malheureux monarque, sur les agissements d'un Adlercreutz, d'un Adlersparre, ou d'un Armfelt, d'après les confidences reçues par lui-même, nous semble digne de toute créance. Puis il a été mêlé, comme envoyé extraordinaire du régent, devenu Charles XIII, à la cour de France, en mars et décembre 1809, à toutes les intrigues embrouillées qui finirent par amener le prince de Ponte-Corvo jusqu'au trône de Suède, grâce au savoir faire de ce dernier, grâce aussi au talent hors ligne de ses agents confidentiels, Signeul et Fournier, résultat d'autant plus flatteur pour le génie d'intrigue de Bernadotte et de ses affidés qu'au fond il ressort du récit de Suremain que ni Napoléon, ni le roi Charles XIII, ni la Diète suédoise ne tenaient énormément à le voir réussir. Peut-être bien, que

1. Il fournit (p. 21-22) de curieux détails sur ce prince, sans se prononcer d'ailleurs sur la question de sa filiation avec Gustave III.

« 上一頁繼續 »