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outre les résumés de tant de pièces de différentes nations, le tableau d'ensemble qui clôt chaque livre et qui renferme une foule de détails instructifs, d'observations utiles. Le travail de M. Creizenach — qui, pendant qu'il fait son livre, a un cours à l'Université de Cracovie – lui a coûté infiniment de peine et de temps. On ne peut que lui savoir le plus grand gré de son entreprise; le remercier de sa patience et de sa ténacité; le féliciter du talent, de l'habileté, de la «< Sauberkeit » qu'il met dans l'exposition de ses recherches; lui souhaiter bon courage et bon succès dans la suite de cette œuvre si importante et si ardue.

A. C.

The Moricos of Spain, their conversion and expulsion, by Henry Charles LEA. Philadelphia, Lea brothers and Comp. 1901, XII, 463 p. in-8°.

Ce livre est un chapitre de l'histoire de l'Inquisition dans les temps modernes, écrit par le célèbre auteur de l'Histoire de l'Inquisition au moyen âge dont nous entretenions naguère les lecteurs de la Revue. Il est presque inutile de leur recommander spécialement ce nouveau volume; le talent et la sereine impartialité de M. Lea sont restés les mêmes, les documents sont plus nombreux, les personnages mieux connus et comme la scène est moins vaste, comme notre attention n'est pas sollicitée dans autant de directions diverses, cette tragédie lugubre et sanglante des Morisques d'Espagne nous semble appelée à un succès littéraire encore plus grand que la volumineuse histoire de l'inquisition au moyen âge. On en recommandera surtout l'étude aux politiques à courte vue qui s'imaginent qu'on peut avoir impunément recours à la force intolérante pour écraser une foi ou une nationalité hostiles. Le livre de M. Lea permet en effet d'étudier en détail les erreurs du sens moral, puis leurs conséquences économiques, qui dans l'espace d'un siècle et demi, firent de la puissante monarchie de Charles-Quint la lamentable épave de l'idiot Charles II. Empruntant ses documents aux nombreuses publications historiques espagnoles plus récentes sur le xvre et le xvIIe siècles, les complétant par les recherches personnelles de l'auteur aux archives royales de Simancas et d'Alcala de Hénarés, le récit que nous annonçons est une œuvre d'équité magistrale; la balance de la justice y est si scrupuleusement maintenue, que jamais l'opprimé ne semble le moins du monde favorisé aux dépens de l'oppresseur, dont l'auteur s'efforce loyalement de comprendre et d'expliquer tous les actes, depuis le moment où la prise de Grenade, reconstituant l'unité catholique de la péninsule, permet aux monarques de Castille et d'Aragon d'accentuer leur zèle religieux, sans crainte de complications trop dangereuses. Nous assistons à l'établissement de l'Inquisition, à ses travaux préparatoires, si l'on peut dire, sous Ximenès, constatant les ruines maté

rielles qu'elle ne tarde pas à semer autour d'elle, l'alternance des deux systèmes de conversion prônés dans les conseils du gouvernement, et appliqués tour à tour, celui de la persuasion et celui des violences. L'auteur nous montre et c'est là certainement un des aspects les plus neufs de son sujet, que la haine du mécréant est entrée dans le sang même du peuple espagnol, et comment cette haine des masses, créée par la foi, mais aussi par la jalousie, l'envie, le mépris religieux a été lentement mais sûrement inculquée aux vainqueurs par six siècles de guerre sainte, alors que sous la domination arabe, Maures, chrétiens et juifs vivaient à peu près toujours en paix. La persécution officielle n'a été que la sanction légale, pour ainsi dire, d'une disposition générale des esprits. Aussi l'on peut affirmer, en employant une citation connue, que les Espagnols n'ont pas seulement souffert du délire de leurs rois mais qu'ils l'ont pleinement partagé.

L'intérêt du récit de M. L. se concentre naturellement sur la catastrophe elle-même, racontée dans la seconde partie de son volume, alors que Philippe II et Philippe III, désespérant d'arracher des cœurs de leurs sujets indociles les restes des traditions religieuses et sociales de l'Islam et de la Loi, même après la répression féroce de la grande rébellion de 1567, prêtèrent l'oreille aux projets d'expulsion en masse qui germaient depuis longtemps dans les cervelles des théologiens et que recommandaient maintenant aussi les hommes politiques. Cet acte de folie religieuse, finalement décrété par le roi Philippe III, en septembre 1609, et exécuté avec une ténacité, une exaltation sereine, digne d'une meilleure cause, peut être qualifié de suicide de la monarchie espagnole; elle couvrit l'Afrique, la France, l'Italie, la Turquie, etc., de milliers de fugitifs, tandis que des milliers d'autres périssaient de misère sur les mers ou dans le pays même, sur les grands chemins, dans les cachots, dans les autodafés. La grande traque dure, avec de rares interruptions, jusqu'en l'année 1623'. A cette date, l'Espagne « purifiée et libre » peut enfin respirer et s'épanouir dans sa conscience de nation « très catholique »; mais à quel prix !

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C'est un des grands mérites du récit de M. L. de n'avoir nullement concentré l'attention du lecteur sur le côté dramatique seulement des persécutions atroces qu'il nous raconte; il s'est appliqué surtout à en

1. La véritable expulsion en masse est terminée dès 1614. C'est à cette date que Philippe III, sur la proposition de l'archevêque de Grenade, prescrit à tous les prélats du royaume une fête solennelle d'actions de grâce pour ce triomphe de la foi.

2. Même après cela, bien des descendants de Maures et de Juifs, soumis dans les premiers siècles de la croisade et lentement convertis et assimilés restent cachés parmi les viejos christianos, même dans la noblesse; physiologiquement parlant, beaucoup d'Espagnols ont du sang d'hérétiques dans les veines.

faire ressortir les conséquences économiques, tant immédiates que futures. Il s'est appliqué aussi à tirer au clair les données statistiques partielles que nous rencontrons en grand nombre dans les chroniques espagnoles et les travaux plus récents, publiés au-delà des Pyrénées, mais qui sont loin de s'accorder, et les indications générales, qui semblent plus sujettes encore à caution et échappent d'ailleurs à tout contrôle. Navarrete (dont le livre parut en 1626) va jusqu'à parler de trois millions de Maures et de deux millions de Juifs expulsés de la péninsule, à différents moments, et Gil Gonzalez Davila, l'historiographe officiel de Philippe III, copie ses chiffres. Plus récemment Lorente s'arrêtait au chiffre d'un million, tandis que Alfonso Sanchez, au XVIIe siècle, donnait un total de 900,000 âmes. On est descendu parfois à des chiffres absolument inadmissibles, comme Vicente de la Fuente, qui, dans son Histoire ecclésiastique d'Espagne, prétend que 120,000 hérétiques présumés seulement furent chassés de leurs foyers. Danvila y Collado, résumant les statistiques officielles, autant qu'on peut les trouver, s'arrête à 500,000 environ, et M. Lea se prononce pour un chiffre approchant '.

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On comprend que Richelieu, véritable homme d'État, tout en étant homme d'Église, ait appelé cette expulsion de tout un peuple plus hardi et le plus barbare conseil dont l'histoire de tous les siècles fasse mention ». Il faut lire dans M. Lea les mille détails authentiques sur ces navrantes odyssées de tant de fugitifs, presque toujours terminées par une dernière catastrophe. La convoitise matérielle surchauffa jusqu'au fanatisme religieux; on vit des familles chrétiennes depuis des siècles persécutées, des prêtres même livrés comme Morisques à l'Inquisition, pour que leurs dénonciateurs pussent s'enrichir de leurs dépouilles. L'appauvrissement immédiat, puis la misère générale furent le résultat de mesures aussi insensées", misère qui frappa les classes de l'aristocratie et de la bourgeoisie, privées de leurs meilleurs fermiers, comme les couches populaires et qui n'a pas, à vrai dire, cessé depuis. Je n'ignore pas que tout le monde, audelà des Pyrénées, ne partage pas la manière de voir de l'auteur et

1. Which is probably not far from correct ». Moriscos, p. 359.

2. Mémoires, I, p. 86.

3. On estimait en Espagne que les trois quarts des déportés en Afrique avaient péri de misère ou massacrés par les indigènes. Ainsi à Tétuan, ces malheureux, chassés comme Infidèles de leurs demeures andalouses, étaient lapidés par les Musulmans parce qu'ils se refusaient à abjurer le christianisme (p. 363).

4. Voy. le curieux procès du prêtre Herrador, licencié et fils d'alcade, en 1640, p. 374.

5. En 1627 don Francisco Solano Salazar écrivait à Philippe IV que les habitants des couvents étaient les sculs dans tout le royaume qui ne mourussent pas de faim (p. 381). En 1634, Philippe IV avouait au pape Urbain VIII que les revenus des prébendes et terres ecclésiastiques avaient, grâce à la dépopulation, diminué des deux tiers (p. 369),

qu'il s'est trouvé un historien espagnol pour écrire qu'il fallait être atteint << d'ophtalmie historique » pour croire que les Maures furent utiles à l'Espagne '. Il paraît que leur expulsion fut « la suite naturelle d'une loi historique ». C'est bien le cas de dire qu'il n'est de pires aveugles que ceux qui ne veulent point voir; tous les lecteurs de sangfroid, tous ceux que n'aveugle pas le fanatisme religieux ou je ne sais quel amour-propre national malsain, s'associeront aux conclusions de M. Lea, quand il affirme que « l'histoire offre peu d'exemples d'une rétribution aussi complète et désastreuse que fut la conséquence des fanatiques efforts de Ximenès» (p. 399). Ce ne sont pas en effet, les guerres du dehors qui ont éliminé l'Espagne en tant que nation comptant en Europe. La France pendant les longues luttes de Louis XIV et de Napoléon I, l'Allemagne pendant les horreurs de la guerre de Trente Ans ont comparativement perdu bien plus d'hommes, mais leur vitalité même ne fut pas atteinte. Dans la péninsule ibérique au contraire, la sève industrielle, agricole, commerciale, intellectuelle fut également tarie par la politique démente de ses rois et de son clergé. Le travail méprisé par l'hidalgo chrétien fit place à la mendicité, la théocratie se chargea d'étouffer la pensée. L'Eglise a trouvé en Espagne un champ d'activité unique; on peut dire qu'elle a pétri ce peuple à souhait; il lui a été donné d'en faire tout ce qu'elle voulut qu'il fût. Qui n'en connaît les résultats tragiques? Malgré son passé glorieux, malgré tous les trésors du Nouveau-Monde, la décadence a été ininterrompue. Depuis un siècle, une lente gangrène enlève l'un après l'autre les membres de ce corps. autrefois si puissant; il se débat dans des convulsions politiques incessantes et par moments il semble que ses populations miséreuses soient à la veille de mourir de faim. L'historien qui, remontant des effets aux causes, a suivi M. Lea, et s'est rendu compte, par son récit, des outrages sans nombre aux lois morales comme aux lois économiques, commis par les gouvernants d'Espagne, du moyen âge aux temps modernes, ne s'étonnera point de sa conclusion sévère écrasés sans pitié, les Morisques ont été terriblement vengés 2.

R.

Histoire de Genève à l'époque de l'Escalade, 1597-1603, par Henri Fazy. Genève, H. Kündig, 1902, 570 pp. in-8° gravures. L'Escalade de Genève et la Ligue d'après les documents recueillis à Paris, par Francis DE CRUE, professeur à l'Université. Genève, Imprimerie du Journal de Genève, 1903, 16 pp. in-18°.

M. H. Fazy, l'érudit historien genevois, bien connu par de nombreuses publications sur l'histoire locale, dont les plus anciennes

1. Voy. le texte même de M. Danvila y Collado chez Lea, The Moriscos, p. 395. 2. P. 362, livre 1611 au lieu de 1511.

remontent à près de quarante ans, n'a pas voulu laisser passer le troisième centenaire de la fameuse Escalade du 12 décembre 1602, tentée par une bande d'aventuriers cosmopolites au service du duc de Savoie, sans consacrer à cet événement un travail solidement documenté mais d'allures plutôt populaires et rédigé dans un esprit de fierté républicaine, qui se justifie aisément. Ce n'est pas seulement le récit de l'escalade même, dont la presque réussite est peu flatteuse en somme pour la vigilance des citoyens depuis longtemps avertis, mais tout le tableau de l'histoire extérieure de Genève, pendant les années 1597 à 1603, que l'auteur met sous nos yeux. Il est intéressant de le comparer au volume de M. De Crue dont nous parlions ici naguère ', car il projette une vive lumière sur la politique du roi de France vis-à-vis des Eidgenossen, durant la même période, comme aussi sur l'attitude de Berne et de ses alliés suisses vis-à-vis de Genève. On admirera vraiment par quel heureux concours de circonstances favorables, la petite république des bords du Léman a pu résister, échapper aux embûches de tant d'ennemis mortels, le pape, la Savoie, l'Espagne, les cantons catholiques, alors qu'elle était assez médiocrement soutenue par de tièdes amis. M. Fazy, dans son récit très vivant, fait bien comprendre aussi quelles difficultés continuelles créait à une politique plus active de sa part, le manque perpétuel d'argent dont souffrait Henri IV, les oppositions sourdes qu'il avait à vaincre dans son propre entourage, où le vieux ligueur Villeroy, Sully, Bellièvre, Jeannin essayaient de déterminer ses résolutions dans des directions opposées. Aussi comprend-on que les Genevois d'aujourd'hui aient bonne opinion de la vaillance et de l'habileté de leurs ancêtres au début du xvII° siècle, en voyant au milieu de quels dangers ils se sont débattus et battus.

Quelque populaire cependant qu'ait voulu être l'auteur, et quels que soient les lecteurs auxquels il destinait son livre, je regrette pourtant qu'il lui ait donné en maint endroit des allures inutilement romanesques en y introduisant le dialogue direct. Cela est bon quand on a la sténographie d'un entretien entre diplomates ou parlementaires modernes. Mais j'estime qu'un historien n'a pas le droit de mettre en scène des personnages, comme des marionnettes de théâtre et de nous faire assister à des colloques confidentiels comme celui entre Lesdignières et Budé de Vérace (p. 101), entre Henri IV et Chapeaurouge (p. 197), ou bien encore à l'entretien de M. Roncas avec l'envoyé genevois Savion (p. 331), on à celui du président Rochette avec les délégués du Conseil (p. 428). De pareils procédés de littérateur mettent les lecteurs sérieux en défiance et j'estime qu'ils ont mille fois raison. D'autant plus que M. Fazy n'avait nul besoin de sacrifier à cette mode nouvelle pour donner à son récit toute la vie et l'animation nécessaires!

1. Henri IV et les députés de Genève, voy. la Revue du 22 décembre 1902.

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