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pieds d'un captif, se dénouer toute seule et devenir une jeune fille qui le console de tous ses maux; un prince qui dit à son émissaire : « Tiens, voilà mon portrait; va le montrer à cette femme, et elle te demandera aussitôt si vraiment il existe au monde un être aussi beau »... et tout se passe ainsi qu'il l'a prévu. De cette littérature enfantine ou retombée en enfance, ne nous moquons pas trop cependant songeons que notre moyen âge aussi, qui n'est pas si loin de nous, a fait ses délices de fadaises toutes pareilles, et que le génial Don Quichote, qui en a sonné le glas, n'en a point pourtant mené les funérailles.

Le style est à l'avenant. En même temps que se boursouflait à plaisir le simple folklore des anciens âges, la langue s'épuisait en raffinements pour en épouser les informes contours. Tels de ces concetti, délayés en un discours d'une demi-page, eussent fait pâmer d'aise les admirateurs du cavaliere Marini, ou ravi en extase Cathos et Madelon. On y lit (p. 92) que le fleuve de lumière s'est desséché, ne laissant dans son lit qu'une vase de noirceur, et cela veut dire que la nuit est venue. Mais le fin du fin, c'est le tour de force phonétique de l'avant-dernier récit : le jeune prince qui conte son histoire est blessé à la lèvre, n'en prenez pas souci, c'est une douce blessure, conséquence il ne saurait articuler de labiales; ci, neuf pages de sanscrit, petit texte, où ne se rencontre ni un p ni un b ni un m, consonnes pourtant fort communes dans la langue. Ce sont de ces choses qui ne se peuvent payer.

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et en

Avec tout cela, il est évident que l'oeuvre de ce Dandin, qui vécut entre le vie et le x° siècle de notre ère, ne laisse pas de présenter un sérieux intérêt : c'est, pour l'histoire littéraire, l'ultime aboutissant d'un art qui tombe en déliquescence; pour la littérature comparée, l'une des origines probables de notre roman d'aventures, de ces compositions à tiroirs où un récit en enchâsse médiatement dix autres, où le merveilleux tourne à l'absurdité pure et l'élégance à l'amphigouri. A tous ces points de vue, on peut souhaiter et prédire à la traduction fidèle et claire de M. H. bon nombre de lecteurs qui n'y perdront pas leur temps.

Il l'a écrite, nous dit-il, de 1882 à 1885 : il en a donc établi la Ire partie sur l'édition de Bühler et la IIe sur celle de Wilson; mais on se demande pourquoi il a négligé de reviser celle-ci sur l'édition de M. Peterson, qui date de douze ans déjà et qui est la continuation de celle de Bühler. En l'état, je ne dois relever de divergences d'interprétation que dans le cas de concordance de texte. P. 32, il ne s'agit pas de « l'ombre d'un homme, ronde comme une tortue qui

de pre

1. Il existe, en outre, une édition de Tarkavacaspati, et une autre, mière importance, puisqu'elle contient les commentaires, du Nirnaya Sâgara (Bombay 1898).

-

a contracté tous ses membres à la chaleur de midi »; car l'auteur a écrit dinamadhyasamkucitasarvávayavám kûrmákrtim manushaccháyẩm, où il n'est pas question de chaleur, et où l'adjectif composé ne peut pas être l'épithète de kûrma- « tortue », qui lui-même sait partie d'un autre adjectif composé. Le trait d'observation est juste et bien rendu l'homme qui tombe du ciel, alors que le soleil est au zénith, ne projette sur le sol qu'une ombre amorphe, sans trace de membres, et ronde comme une tortue. - P. 98, manque la transition au chapitre suivant : rien n'indique que c'est maintenant Arthapâla qui prend la parole. - P. 100, pourquoi supprimer le jeu de mots ? « Comme la Mort ce Vainqueur de la Mort est joyeux de nuisance » (il s'agit d'un éléphant dont le nom ne signifie pas « schrecklich wie der Tod' »). D'après les termes de la p. 102, il est impossible au lecteur non informé de deviner que Kuvêra est un dieu; et, même à supposer qu'il le sache, il doit se dire qu'il s'y agit d'un roi terrestre qui a pris un nom divin. — P. 124, « il est si fort que d'une seule pression de son poing, il écraserait bien mille grappes du raisin que nous transportons ». Il n'y a rien de tout cela au texte, qui porte : soyamapi sincét sahasram drâkshânâm kshanénaikéna. Les matelots viennent de tirer de l'eau un inconnu à quoi voient-ils qu'il est si fort? et qu'est-ce que sa force fait à l'affaire en cours? et quelle force y a-t-il à écraser mille grappes de raisin d'un coup, pourvu qu'on ait la main assez grande pour les contenir, - ce qui n'est point ici le Mais non, la facétie des Yavanas, exportateurs de raisin et fabricants de vin, se comprend d'elle-même : « Ce gaillard-là [est si trempé que, si on le pressurait, il] fournirait bien en un clin d'œil la coulée de mille grappes. >>

cas?

L'impression est fort correcte, sauf, de temps à autre, une longue pour une brève ou réciproquement, surtout dans les noms propres. On ne s'y arrêtera pas. Mais on s'étonnera à bon droit de la transcription surannée dsch pour le j sanscrit, symbole qui, pour compliqué et disgracieux qu'on doive le reconnaître, n'a pas même l'avantage d'être exact ne suffirait-il donc pas d'écrire, en avertissant de prononcer comme en anglais ? Enfin, ce n'est pas notre affaire.

J'ai dit qu'il fallait louer l'auteur de son courage. Il a pourtant fléchi vers la fin et s'est dérobé devant le prolixe verbiage du dernier conte c'est dommage, car on y perd quelques traits de mœurs bien

1. Sur la traduction des noms propres, j'aurais d'autres observations à présenter, si elles en valaient la peine. Ainsi Candrapâla (p. 34) n'est pas « protégé de la lune », mais rigoureusement «< gardien de la lune » : ce qui revient à dire que ce nom ne signifie rien, comme beaucoup d'autres; le personnage se nomme Candrapâla uniquement parce que son père s'appelle Bandhupâla, suivant une habitude traditionnelle de l'onomastique indo-européenne. Il y a donc des appellatifs qu'on ne peut traduire et qu'il faut se borner à analyser. En revanche (p. 120), il n'eût pas été déplacé de dire que Kandukâvati signifie « qui a une balle à jouer ».

hindous. Partout ailleurs, il n'a été tenu en bride que par une pudeur peut-être parfois excessive: dès que s'ouvre un passage quelque peu scabreux, M. Haberlandt s'alarme, supprime, et il n'y aurait que demi-mal, si le lest ainsi jeté n'était parfois cargaison de valeur. Heureusement, il en reste encore assez : c'est, par exemple, un type bien précieux (p. 60) que le pieux ermite qui exhorte pieusement la pécheresse repentie à retourner à son métier; car chacun, n'est-ce pas? se doit à sa famille et à l'office de sa caste'.

V. HENRY.

E. Wheeler SCRIPTURE. The elements of experimental phonetics, in-8°, xvIII627 p., avec 348 figures et 26 planches. New-York et Londres, 1902 (fait partie des publications faites à l'occasion du bi-centenaire de l'Université de Yale).

On trouvera dans ce gros volume un résumé généralement très clair de ce qui a été publié jusqu'ici sur les phénomènes physiques, physiologiques et psychologiques relatifs au langage. L'auteur ne s'est préoccupé de rendre son ouvrage ni très original ni très systématique; pour ce qui touche les faits linguistiques proprement dits, M. Scripture s'est beaucoup inspiré des travaux de M. l'abbé Rousselot, et il suit de si près son guide qu'il emprunte ses figures anatomiques au même manuel français que celui-ci. Les divers articles parus sur la phonétique expérimentale sont analysés, parfois d'une manière assez détaillée, mais sans souci de former des résultats un corps de doctrine cohérent, ce qui serait du reste prématuré pour la plupart des questions. La rédaction n'est pas exempte de quelque pédantisme; après avoir constaté que le rythme dépend de différences de timbre, de hauteur, d'intensité et de durée, l'auteur représente ces quatre ordres de qualités par des lettres et écrit:

T = f(x, y, z, w).

Rien n'est plus vain, puisqu'il est impossible de faire aucun calcul sur ces lettres, et c'est donner à l'exposition une apparence trompeuse de rigueur, que le sujet ne comporte pas. - Par son abondante information, par sa netteté, par l'excellence de ses figures, le livre de M. Scripture rendra certainement des services.

Il n'y a pas lieu d'y insister longuement ici; car l'auteur ne se place jamais à un point de vue historique, ou philologique, ou même

1. Les notes sont un peu maigres. Les singularités de l'Inde réclameraient, pour le grand public, plus d'éclaircissements. Devinera-t-il ce que veut dire le héros qui s'écrie: «Ses vêtements sont poudreux: donc, ô bonheur! c'est une femme, et non une déesse » (p. 112)? On reconnaît les dieux à ce signe infaillible, parce qu'ils voyagent par les chemins aériens, qui sont sans poussière.

linguistique. Et, dans les rares occasions où il a à indiquer des faits de langue, il ne montre aucune compétence particulière, ne citant que des faits très connus et très simples, et d'une manière imprécise. On voit bien par ce livre à quel point les études de phonétique expérimentale sont au fond distinctes de la linguistique proprement dite.

A. MEILLET.

KNUDTZON J.-A. Die zwei Arzawa-briefe. Die ältesten Urkunden in indo-germanischer Sprache. Mit Bemerkungen von Sophus Bugge und Alf. Torp. iv-140 p. in-8°. Leipzig, 1902. Prix : 5 mk.

Le titre de cet ouvrage est fort alléchant; mais le linguiste curieux qui jettera les yeux sur les deux documents dont M. Knudtzon propose un déchiffrement éprouvera sans doute une désillusion pénible en constatant que le plus ancien texte indo-européen ne renferme pas un mot indo-européen; seule, la grammaire en serait indo-européenne, et encore n'enseigne-t-elle rien de nouveau. Correcte ou non, l'hypothèse de M. K. ne semble donc pas de nature à modifier ou à perfectionner sur un point quelconque les doctrines de la grammaire comparée des langues indo-européennes.

Parmi les tablettes d'El-Amarna, il s'en trouve trois qui, tout en étant écrites avec l'alphabet assyrien, ne sont pas rédigées en langue assyrienne; l'une émane d'un roi de Mitanni et a été déjà souvent étudiée; les deux autres émanent d'un roi d'Arzawa (la lecture de ce mot n'est pas tout à fait sûre, dit M. K.), et ce sont celles qui forment l'objet de la publication analysée ici.

M. K. donne d'abord la transcription des deux documents, en indiquant les points où l'ambiguité des caractères assyriens ne permet pas une lecture certaine. Puis il constate que l'un d'eux présente mi et ti, là où, d'après d'autres documents analogues à ceux-ci, on attend une opposition de « moi » et « toi »; il n'en faut pas davantage pour suggérer l'hypothèse que la langue de ces tablettes serait de la famille indo-européenne. Et il se rencontre quelques finales de mots qui ressemblent plus ou moins à certaines désinences indo-européennes. Quant au vocabulaire, il ne renferme aucun substantif ni aucun verbe dont l'étymologie apparaisse clairement en indo-européen.

L'éminent professeur de grammaire comparée de Christiania, M. S. Bugge, et l'un de ses collègues, M. Torp, ont ajouté au travail de M. K. une discussion linguistique détaillée du texte. Ils affirment à leur tour que la langue des deux tablettes est indo-européennne; on sait que les mêmes savants affirment énergiquement le caractère indoeuropéen du lycien, alors que d'autres savants plus prudents le nient tout à fait, comme M. Kretschmer, ou du moins le tiennent pour indémontré, comme l'illustre maître de Copenhague, M. V. Thomsen.

Un exemple suffira pour indiquer tout ce qu'il y a d'arbitraire et d'incertain dans les combinaisons proposées : la sifflante finale de certains génitifs représenterait celle des génitifs singuliers comparables : gr. -os, lat. -is; mais M. Bugge ne se laisse pas arrêter par l'absence de toute sifflante finale à la fin des nominatifs singuliers. D'autre part, il fait ici le même abus de l'arménien que dans ses publications sur le lycien; il ne sera pas inutile de rappeler une fois de plus avec quelle réserve on doit utiliser l'arménien du ve siècle après JésusChrist quand on interprète des textes de tant de siècles plus anciens. A. MEILLET.

ROUSSELOT et F. LACLOTTE. Précis de prononciation française. Paris, 1903; in-8°, 256 p. Prix: 7 fr. 50.

M. l'abbé Rousselot a confié à son neveu M. F. Laclotte la rédaction du précis de prononciation française dont il avait amassé les matériaux depuis assez longtemps; le but de l'ouvrage est avant tout pédagogique, et il n'y aurait pas lieu d'en parler ici si le nom de l'auteur ne garantissait d'avance que les savants ne sauraient manquer d'avoir à en tirer profit. Une première partie est consacrée à la description de la prononciation parisienne, la seule qui puisse et doive en effet servir de norme; chaque détail est illustré par des tracés et les personnes qui en douteraient encore pourront voir là combien un tracé bien fait est plus clair, plus précis, plus facile à garder dans la mémoire que la meilleure des descriptions; la figure 79 par exemple montrera mieux que n'importe quelle formule l'abrègement des syllabes non finales au fur et à mesure de l'allongement des mots. Une seconde partie, intitulée Principes de lecture, enseigne à quoi répondent à Paris les signes compliqués de l'orthographe française. L'auteur s'est visiblement efforcé de citer la plupart des cas qui peuvent faire difficulté pour un provincial et pour un étranger. Il a fait pour cela une enquête qui a porté sur les diverses classes de la société, et il indique souvent des divergences qui tiennent soit à la condition sociale, soit à la profession, soit à l'âge des sujets examinés. Le témoignage d'un observateur aussi fin et aussi soigneux que M. l'abbé Rousselot restera sans doute comme le document le meilleur à tous égards auquel se rapporteront les philologues de l'avenir sur la prononciation française au début du xxe siècle. On y trouvera la prononciation parisienne telle qu'elle est, et non pas, comme dans le livre de M. Koschwitz, des exemples qui représentent presque tous des prononciations artificielles d'acteurs et des prononciations incorrectes d'écrivains élevés en province, et dans des régions où le français est une langue savante et importée.

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