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l'idéalisme moral et la philosophie critique de Kant où il se jette à corps perdu pendant l'année 1790 et dont il s'imprègne profondément tout en les modifiant peu à peu sous l'influence des exigences rationnalistes de son génie propre; troublé, enfin, dans ses convictions kantiennes par la lecture de l'Enésidème de Schultze, faisant table rase de ses théories antérieures et reconstruisant à nouveau tout l'édifice de sa philosophie. Cette dernière phase de l'activité philosophique de Fichte est décrite par M. K. d'une façon particulièrement détaillée et intéressante; il a pu largement utiliser pour ce travail les indications précieuses fournies par un manuscrit inédit, sorte de journal philosophique où Fichte note les progrès successifs de sa pensée et qui nous permet de suivre pas à pas la genèse de sa doctrine. Les documents inédits publiés par M. Kabitz à la fin de son volume se composent de 15 lettres, brouillons de lettres ou notices philosophiques écrites entre 1785 et 1793.

H. L.

J. SCHULTZ, Psychologie der Axiome, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1899.

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M. Schultz entend par axiomes ou principes les jugements non susceptibles de démonstration et évidents par eux-mêmes sur lesquels reposent la pensée et la science humaines. Il admet l'existence d'axiomes antérieurs à toute expérience. principe d'identité; les mêmes causes produisent les mêmes effets; existence de substances permanentes; liaison causale des phénomènes, etc. Sans doute, ces axiomes ne sont pas des principes éternels et métaphysiques, car ils se sont formés lentement au cours de la vie animale où domine simplement la grande loi de l'association; mais pour l'humanité ils sont réellement à priori, nécessaires, et rien ne nous permet de supposer qu'ils puissent jamais cesser de dominer notre pensée. Les axiomes ne sont d'ailleurs pas comme le voulait Kant des jugements synthétiques mais bien des postulats subjectifs en vertu desquels nous contraignons les impressions qui nous viennent du dehors à se grouper selon un certain ordre, et qui ont leurs racines dans la vie instinctive, dans la volonté. M. S. défend ce point de vue avec beaucoup de verve et d'une plume vive et alerte contre les positivistes (Comte, Mill, Avenarius et surtout Mach) auxquels il reproche de rendre impossible toute connaissance scientifique du monde et de ses lois en refusant d'admettre la valeur absolue de la plupart de ces axiomes (substance, cause, force, etc.) et en se condamnant ainsi, sous prétexte de rigueur scientifique, à amasser, sans oser les coordonner, d'innombrables et fastidieuses observations de détail.

H. L.

A. ELEUTHEROPULOS. Die Philosophie und die Lebensauffassung der germanisch-romanischen Völker auf Grund der gesellschaftlichen Zustände. Berlin, Hoffmann, 1901.

M. Eleutheropulos repousse la division traditionnelle de l'histoire européenne en période antique, moyen âge et temps modernes. Selon lui, la culture des peuples germano-romans reproduit dans ses phases principales l'évolution de la civilisation antique. Il y distingue cinq périodes: 1o une ère héroïque qui s'étend jusque vers le x° siècle, et pendant laquelle les peuples nouveaux se constituent par un mélange à des degrés divers de Germains avec des Romains, Italiens ou Celtes, jettent les fondements de leur organisation religieuse et sociale et élaborent, sur la base du christianisme, une nouvelle conception de la vie. Jean Scot Érigène crée avec des matériaux empruntés à la religion chrétienne une cosmologie qui est pour le monde européen l'équivalent de ce qu'a été pour le monde grec la mythologie d'Homère et d'Hésiode; 2° une période de fermentation et d'organisation où, du xe au XVIIe siècle, se constitue, parmi de longues luttes nationales religieuses et sociales, le monde européen moderne avec ses puissances rivales, l'Église, les princes, le peuple, qui combattent entre elles pour l'hégémonie dans le domaine des faits comme dans celui des idées; 3° une période d'épanouissement, analogue à la période classique de l'hellénisme, où il se produit un certain état d'équilibre entre les divers éléments en lutte, où la France et l'Angleterre atteignent l'apogée de leur développement (fin du xviro, début du xvIII° siècle), traversent une ère de prospérité matérielle et d'activité intellectuelle particulièrement intenses et enfantent une philosophie optimiste et conciliante qui, avec Malebranche, Leibnitz ou Berkeley, célèbre le triomphe de la raison et de l'amour; 4° une période de décadence (seconde moitié du xvII° siècle, deux premiers tiers du XIXe siècle), où la corruption croissante amène, comme en Grèce, la rupture de l'équilibre social et le renouvellement des luttes de jadis, où le rationnalisme apparaît comme une résurrection de la sophistique grecque, où, de toute part, surgissent des réformateurs révolutionnaires, moralistes ou mystiques qui formulent les revendications des mécontents ou prêchent une rénovation morale et essayent en vain d'arrêter le mouvement de décomposition sociale qui se précipitent de plus en plus ; 5° une seconde ère de prospérité et d'équilibre, analogue à celle que traverse la Grèce à l'époque de l'hégémonie macédonienne, et qui est caractérisée par la prédominance de l'Allemagne où se développe un « positivisme mystique » des plus intéressants, et où s'affirme une puissance capable d'empêcher ou, en tout cas, de retarder la dissolution finale de la société européenne.

1. Kant, Reid et Voltaire, sont comparés à Socrate, Rousseau à Antisthènes, Fichte, Schelling, Hegel, Herbart, Schleiermacher, Schopenhauer à Platon, Lessing et Paley à Euclide de Mégare, etc.

La philosophie européenne apparaît ainsi à M. E. comme le reflet d'un processus matériel, comme l'expression nécessaire de la croissance et de la décadence de la société et de ses éléments constitutifs. On est d'ailleurs frappé de voir le peu d'estime qu'il professe pour cette philosophie, en particulier pour le rationalisme, le criticisme kantien et les courants philosophiques issus du Kantisme. Toute la philosophie européenne est, si on l'en croit, viciée par une erreur fondamentale. Partout et toujours les penseurs se sont basés, consciemment ou inconsciemment, sur une croyance morale ou religieuse qu'il admettaient à priori pour des motifs d'ordre sentimental et qu'ils s'efforçaient ensuite de justifier, soit à l'aide d'une conception générale du monde, soit au moyen d'une théorie de la connaissance appropriée. A cette philosophie subjective qui se perd dans la subtilité et le sophisme doit succéder une philosophie objective, certaine comme la science elle-même et qui coordonnera en une image totale de l'Univers tous les résultats de l'expérience humaine dans tous les domaines.

J'imagine que les théories de M. E. laisseront bien des doutes dans l'esprit de ses lecteurs. N'y a-t-il pas bien de l'artifice dans le parallèle que l'auteur ne se lasse pas d'instituer entre l'évolution de la société antique et celle de la civilisation européenne? La philosophie du passé est-elle bien aussi subjective et sophistique, celle de l'avenir sera-t-elle jamais aussi inconditionnée, aussi affranchie de tout carac tère hypothétique que le veut M. E.? A tout instant on se sent tenté de mettre un point d'interrogation devant les affirmations tranchantes d'un dogmatisme trop sûr de lui-même et qui provoque la contradiction par les jugements sommaires qu'il porte en quelques lignes ou en quelques mots sur les questions les plus délicates et les plus complexes. Malgré ces restrictions, le livre de M. Eleutheropulos n'est pas dépourvu de valeur et on lira avec intérêt, parfois avec profit, son ingénieuse légende des siècles.

H. L.

Walther SCHULTZE. Die Tronkandidatur Hohenzollern und Graf Bismarck. Halle a. S., Anton, 1902. 8o, p. 55. Mk. 0,80.

S'appuyant sur de récentes publications, M. W. Schultze a voulu démontrer la part qui revient à Bismarck dans la candidature Hohenzollern. Quelque obscur qu'il paraisse, ce rôle a été plus direct que la plupart des historiens ne l'ont admis. Si Bismarck n'a pas mis le premier la candidature en avant, il l'a du moins sous main soutenue, reprise, poussée activement, jusqu'à ce qu'elle lui eût fourni par le moyen qu'on sait le casus belli désiré. La guerre sans doute était imminente: Bismarck savait qu'un rapprochement entre

la France, l'Autriche et l'Italie, sans parler des embarras intérieurs du côté de Napoléon, allait la lui imposer, et, se sentant prêt luimême, il voulut prévenir l'adversaire en précipitant les événements; c'est lui qui a fait éclater le conflit. La démonstration de M. Schultze est bien conduite, et si elle n'est pas absolument probante, parce que les documents décisifs font encore défaut, on doit lui accorder qu'elle a réuni un faisceau de preuves très fortes.

L. R.

Colonel LAUSSEDAT. La délimitation de la frontière franco-allemande. Paris, Delagrave (1901), 216 p. dont 18 pièces justificatives, 7 planches.

M. le colonel Laussedat fut délégué aux conférences de Bruxelles et de Francfort où fut négocié le tracé de la frontière franco-allemande, puis chargé de la délimitation sur le terrain ; et cette dernière partie de sa tâche ne fut pas la moins douloureuse. Il n'a rédigé ce « Mémoire à consulter » qu'au bout d'une quinzaine d'années il le date de novembre 1887 — mais pendant ce délai et jusqu'au jour de la publication (1901) se sont avivées encore les rancœurs que lui ont laissées ces heures tragiques de sa carrière. M. L. profère contre les hommes d'État qui acceptèrent et souscrivirent le traité de paix les accusations, ou du moins les appréciations les plus dures; ni Thiers, ni Jules Favre ne trouvent grâce devant lui. Peut-être l'auteur se fût-il exprimé avec plus d'équité s'il eût consulté quelques dates : le rapport de M. de Meaux fut présenté à l'Assemblée nationale le 18 mai 1871 et ratifié le même jour or c'était le début de la « semaine sanglante », et c'eût été folie que d'obéir à ce conseil de M. L. «Il eût fallu ne pas reculer devant la menace d'une rupture des négociations » (p.59). L'intérêt spécial et technique du livre réside dans l'histoire et le procédé d'une délimitation de frontière. Les Allemands avaient la pleine notion non seulement de la signification stratégique du territoire, mais aussi de toutes ses ressources. Ils avaient adjoint à leur commission le géologue Hauchecorne, pour reconnaître le riche bassin minier de Lorraine. Une partie de ce précieux terroir fut livré d'abord parce qu'on en ignorait la valeur - M. Benoît d'Azy, maître de forges, en fit bon marché (p. 62) — mais aussi parce que les intérêts particuliers des industriels et propriétaires de concessions traversèrent les efforts patriotiques des négociateurs français; M. Laussedat signale, non sans indignation, les agissements à Berlin d'un M. de Gargan, représentant de la maison de Wendel (p. 95, 101). Mais ce sont les angoisses de la politique intérieure surtout qui empêchèrent d'insister sur des solutions plus favorables, notamment en ce qui concerne le rayon militaire de Belfort et les villages du versant occidental du Donon.

Les nombreuses pièces justificatives et les planches - celles-ci du plus vif intérêt, ajoutent singulièrement à l'autorité de cet ouvrage. B. AUERBACH.

L'Histoire de l'Antiquité d'Éd. Meyer et le Papyrus de Strasbourg.

Me permettez-vous de dire ici quelques mots de la préface du Ve volume de la Geschichte des Alterthums de M. Ed. Meyer, volume que M. Maurice Croiset présentait au public de la Revue critique dans l'avant-dernier numéro ?

Les lecteurs du quatrième volume de l'Histoire de l'Antiquité savent quelle place légitime l'auteur de cet ouvrage capital fait, dans l'histoire athénienne du v⚫ siècle, aux questions financières. Voici comment il résume l'histoire du budget athénien depuis la guerre médique 480 (t. IV, p. 28-39) :

Les revenus d'État des Athéniens, dans les années qui ont suivi 480, ont été complètement absorbés par les dépenses annuelles. Depuis 477, Athènes a disposé en outre des tributs et autres revenus d'empire, mais ces revenus n'ont pu laisser d'excédents que très exceptionnellement jusqu'en 460, et, à partir de cette date, ils ont été dépassés de beaucoup par les frais de la guerre. Comme il n'existait pas de fonds de réserve, il fallut emprunter de grosses sommes, vers 460-50, au trésor d'Athéna. D'où l'idée que se fait M. Meyer de ce trésor, et de son histoire au v⚫ siècle.

Retenons simplement ceci : aux yeux de M. Meyer, il est impossible qu'il y eût un fonds de réserve dans le trésor d'empire déposé à Délos, au moment où ce trésor fut transféré à Athènes (soit en 455, soit en 450).

Or, depuis l'apparition du quatrième volume de l'Histoire de l'Antiquité, M. Br. Keil a publié le papyrus déjà fameux de Strasbourg, qui contient une liste chronologique de faits '.Le second paragraphe, le plus intéressant pour nous, a été complété par M. Keil et traduit ainsi : L'assemblée des alliés, sous l'archontat d'Euthydème, et sur la proposition de Périclès, décide que les trésors déposés à Délos, qui s'élevaient à plus de 5,000 talents, levés conformément à la taxatiou d'Aristide, seraient transportés sur l'Acropole. Ensuite...

Comme on voit, ce texte fournit un chiffre qui est en contradiction formelle avec le système de M. Meyer. Il était intéressant de connaître la pensée de celui-ci sur le document nouveau: il la donne dans la préface de son cinquième volume.

Il semble admettre sans réserve la restitution de M. Keil, mais c'est l'assertion même du Papyrus qu'il conteste; il discute la date de l'archontat d'Euthydème; quant au chiffre de 5,000 talents, il se borne à le déclarer einfach absurd. C'est sur ce point que nous voudrions nous arrêter un instant.

Une objection se présentait d'elle-même à l'esprit, lorsque M. Meyer semblait considérer comme impossible qu'il y eût un fonds de réserve à Délos au moment où le trésor d'empire fut transporté à Athènes. Comment se représenter le fait même du transfert, tel qu'il l'a présenté dans son troisième volume, et surtout le retentissement qu'a eu cette mesure, sans supposer que des sommes importantes ont été alors transportées de Délos à Athènes? Il y avait même des textes donnant le montant de ces sommes, soit 8,000 talents, soit (plus souvent) 10,000: M. Meyer

1. Br. Keil, Anonymus Argentinensis (1902). V. Revue critique du 21 juillet 1902. 2. P. 606-607.

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