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aura à prendre plus d'un parti délicat. Mais ce sera l'affaire des volumes suivants; dans celui-ci, où il n'avait à traiter que du royaume actuel et de son prolongement naturel, la basse Cochinchine, il ne s'est trouvé dans ce cas qu'une fois ou deux. à propos du littoral, et il s'en est tiré en somme avec prudence.

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Il part du fait que, sur tout le littoral du Cambodge et de la basse Cochinchine, de la frontière siamoise au cap Saint-Jacques, le petit nombre de monuments et d'inscriptions qu'on rencontre sont tous khmers (1). Il n'hésite donc pas à revendiquer cette côte pour les Kambujas. Mais il laisse la limite orientale indécise: car, d'une part, les monuments khmers ne vont pas jusqu'à la frontière annamite, - dans les dernières provinces de ce côté, celles de Baria et de BienHoa, il n'y a pas de vestiges anciens du tout, et, d'autre part, au delà de la frontière, la première province annamite, celle de Binh-Thuan, est également pauvre de monuments caractéristiques; il faut remonter la côte jusqu'à la baie de Phan-Rang (11° 20' N.), pour rencontrer les premiers restes authentiques de la puissance tchame (2). En même temps, il constate qu'aux approches de cette frontière annamite, d'anciennes inscriptions khmères contiennent des mots et des titres tchams, et à cet indíce joignant ce que donnent des traditions encore vivantes dans le pays, mais dont il n'exagère pourtant pas la valeur, il conclut à l'existence dans ces parages non seulement d'une ancienne population tchame (3), mais encore d'une domination tchame antérieure à celle des Khmers. Et tout cela est parfaitement plausible pour ce borderland dont les vicissitudes aux époques soit historique, soit préhistorique, nous sont également inconnues. La justesse de ces considérations ne devient contestable que quand, à tort selon nous, il y fait intervenir le royaume de Fu-nan, qui n'a rien à voir ici, et qu'il est ainsi amené à étendre cette domination tchame à des régions où tout autre indice fait défaut. Il la retrouve, en effet, à l'extrémité opposée de ce littoral, dans la baie de Kampot (101o 50' E.), où l'attendait une autre difficulté. C'est là, en effet, à l'ouest des bouches du Mékhong et de la Pointe du Cambodge et, par conséquent, à Kampot même, l'unique port de cette partie de la côte, que le plus grand connaisseur de l'ancienne géographie de l'Extrême-Orient, feu le colonel Henri Yule, a placé le Çanf des Arabes, en l'identifiant d'une part avec le Zaba de Ptolémée et, d'autre part, avec Campa. Cette détermination du site de Çanf parait fondée. Quant à l'identification avec Campa, que sans doute Yule lui-même ne défendrait plus en présence des données nouvelles fournies par l'épigraphie (4), M. Aymonier n'hésite pas, et avec raison, à l'écarter comme impossible, si, comme Yule, on entend par là le Campa des pélerins chinois, qui est le même que celui des inscriptions, et qui, sûrement, se trouvait alors bien loin de là, vers le nord-est, sur la côte de l'Annam. Seulement, avec son Fu-nan et son Campa primitif en tête, il a tort d'ajouter que cette identification pourrait bien être admissible pour la période antérieure au ve ou au vi° siècle; car ce n'est pas à cette période, mais bien au xe et au xe siècle que se rapportent les témoignages des Arabes. De deux choses l'une : ou le Çanf des Arabes et le Zabu de Ptolémée, si du moins ce dernier appartient ici, représentent un Campapura khmer et inconnu par ailleurs, ce qui n'aurait rien d'impossible,

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(1) Bien entendu, il y a aussi des inscriptions en sanscrit.

(2) C'est un fait assez remarquable que, contrairement à ce que nous voyons au Cambodge, où sanscrit et khmer apparaissent en même temps, sur cette côte d'Annam, qui a fourni de très vieilles inscriptions sanscrites, les plus vieilles de toute l'Indo-Chine, l'usage épigraphique de la langue indigène, le tcham, ne se constate qu'à une époque relativement récente.

(3) Distincte par conséquent des nombreuses colonies tchames actuellement disséminées dans la basse Cochinchine, dans le Cambodge et dans le Laos, où elles se sont réfugiées à la suite de la conquête annamite.

(4) Yule a résumé pour la dernière fois ses vues à ce sujet dans les Proceedings de la Société royale de géographie, novembre 1882: Notes on the oldest records of the sea-route to China from Western Asia.

puisque, sous cette forme, le terme est purement hindou, ou ils répondent à quelque autre nom sonnant à peu près de même, Camba ou Cambhupura par exemple. Qui sait si, dans celui de Kampot, qui s'écrit, parait-il, Kambat ou Kambut et qui rappelle aussi celui de Kambu, l'ancêtre légendaire des Kambujas, il n'y a pas l'écho du Çanf des navigateurs arabes?

Peut-être M. Aymonier aurait-il dù faire d'autant moins cette concession qu'elle ne s'accorde pas très bien avec ses vues sur les origines de la puissance des Kambujas. C'est, en effet, sur ce littoral qu'il en place le berceau. Aux premiers siècles de notre ère, des aventuriers hindous partis de la côte de Madras seraient venus s'établir aux bouches du Mékhong, et c'est de là que l'état par eux fondé et la civilisation étrangère qui en était le nerf se seraient graduellement étendus vers le nord. Cela est possible en effet et, en partie du moins, fort probable, d'autant plus probable que Java et les iles de l'Archipel, à en juger par bien des indices, ont été les étapes de cette immigration. Mais, d'une façon certaine, nous n'en savons rien. C'est bien au sud du Grand Lac que M. Aymonier trouve une des plus anciennes capitales (1) et les plus vieilles traditions. Mais rien ne prouve que cette capitale ait été alors la seule. A plus d'une époque, le Cambodge a compris plusieurs principautés qu'on se rappelle, par exemple, la division, mentionnée par les Chinois, en Tchen-la de la terre et Tchen-la de l'eau. Dans cette région, rien, il est vrai, n'annonce les grands monuments d'Angkor; on n'y rencontre que les restes d'un art plus simple et plus primitif. Mais des constructions de ce même type primitif sont répandues dans toute l'étendue du territoire khmer. Quand les inscriptions commencent, vers la fin du vie siècle, on les rencontre presque aussitôt au nord comme au midi ; une des plus archaïques, celle de Veal Kantel (2), a été relevée en territoire siamois, vers le 140 degré. Dans ces conditions et en nous rappelant ce que les Chinois nous ont transmis sur les anciens rapports du Tchen-la et du Fu-nan, qui était un royaume de l'ouest, on fera peutêtre bien de ne pas perdre de vue une autre voie que cette civilisation a également pu suivre, celle de la côte occidentale, où aboutissait une route maritime régulièrement fréquentée dès le er siècle, la traversée d'Inde en Khruse, « la terre de l'or », l'Indo-Chine.

Après avoir fait ainsi en quelque sorte le tour de l'œuvre de M. Aymonier, nous sommes mieux orientés pour en examiner rapidement le contenu. Celui-ci est avant tout descriptif, du moins dans le présent volume, l'histoire proprement dite non les questions historiques, dont un bon nombre, au contraire, sont déjà abordées ici étant réservée pour la fin. Cette description se divise à son tour en deux parties: l'une, générale, où l'auteur trace à grands traits le tableau du pays et de ses habitants, des produits, des institutions, des monuments; l'autre, où il reprend ce tableau en détail, province par province. Les deux parties se complètent réciproquement, sans se répéter.

Rien n'est plus animé, ne donne mieux l'impression de la chose vue, que cette rapide esquisse des grands aspects physiques du pays, de ses vastes plateaux dénudés ou pauvrement boisés, alternant avec des rizières et des dépressions marécageuses, de ses massifs rocheux semés comme au hasard et ne s'alignant en chaines de montagnes que vers le pourtour, de sa double mousson qui divise l'année en deux saisons : les pluies, qui font de la moindre rigole un fleuve en raccourci et mettent la moitié du pays sous eau, et la sécheresse torride, qui a tôt fait de brûler le sol et la végétation non arborescente partout où la nature ou l'homme n'ont pas ménagé des réserves. De l'épaisse tranche d'eau que la mousson déverse sur le Cambodge, à peu près tout ce qui n'est pas enlevé par l'évaporation est drainé par le Mékhong (3), qui, avec sa dépendance, le vaste réservoir du Tonle Sap, est le nourricier et le grand régulateur de la vie. Ses crues puissantes, encore de 10 mètres à Phnom Penh, où elles s'épandent pourtant à

(1) Angkorbaurei, dans la province de Préi Krebas, par 110 N. et 1020 40' E., que M. Aymonier (p. 197) indentifie avec le Vyadhapura des inscriptions.

(2) Notices et extraits, t. XXVII, p. 28.

(3) Les bassins secondaires ne comptent pas en comparaison.

perte de vue, charrient pendant des mois une masse de limon qui produit un colmatage énorme. Comme on l'a dit du Nil et de l'Égypte, il est le père des terres riveraines; il les a apportées, construites et façonnées et il ne cesse de les combler et de les modifier. De même que ses devanciers, M. Aymonier a noté les légendes qui prétendent garder le souvenir de la mer venant battre le pied des monts Dang Rek; mais il ne s'est pas laissé prendre à ces récits qu'on rencontre partout où il y a un grand fleuve, une plaine bien unie et une ceinture de montagnes. Il a fort bien vu que de pareils changements du relief, s'ils ne sont pas imaginaires, relèvent des périodes géologiques. Il estime pourtant que le Grand Lac était encore un golfe à l'époque historique et qu'une grande partie de la basse Cochinchine n'existait pas il y a 1.200 ou 1.500 ans. Et de ceci même peut-être faut-il rabattre. Rien n'est trompeur comme ces évaluations de l'accroissement d'un delta: il ne suffit pas de cuber les alluvions transportées; il faudrait encore savoir ce qu'en font, ce qu'en faisaient surtout à diverses époques les courants sans cesse variables le long d'une côte en formation. Ainsi le delta du Nil s'est modifié plutôt qu'il ne s'est accru depuis la fondation d'Alexandrie, bien que le dépôt se fasse ici dans une mer sans marées. Pourquoi les choses ne se seraient-elles pas passées de même, toutes proportions gardées, pour celui du Mékhong?

Dans la population, M. Aymonier distingue les Klmers, les immigrés et les aborigènes; mais il est prudemment sobre de spéculations ethnologiques, qui seraient, en effet, prématurées dans l'état actuel de nos connaissances. Il ne décrit d'une façon détaillée que les kumers, qu'il estime former environ les deux cinquièmes de la population: moins d'un million et demi (1) sur un total de trois millions et demi. De ce nombre, douze cent mille reviennent au Cambodge (2), et deux cent mille seulement à la basse Cochinchine, où ils ont été refoulés peu à peu par les Annamites et ne forment plus que le dixième des habitants. Contrairement à l'opinion commune des résidents européens, qui en font une race indolente et dont il n'y a rien a tirer, mais avec quelques autres bons juges, il leur est décidément favorable et croit à leur avenir. I our les nomigrés, Chinois (euviron 100.000 au Cambodge), Annamites (même chiffre), Tchams (de 40.000 a 50.000), Laotiens (difficiles à évaluer (3), parce qu'ils se fondent aisément dans la population), et pour les aborigènes, il s'en tient à la statistique: leur nombre, leur répartition, leurs occupations principales. Et c'est aussi tout ce qu'on pouvait lui demander ici pour les immigrés, parce qu'ils sont des étrangers presque au même titre que les Européens (); pour les aborigènes, parce qu'il aura amplement occasion de les décrire dans le volume suivant, quand il traitera des provinces devenues et en partie restées siamoises, notamment de celles du Nord-Est, où ils ont mieux conservé leurs traits distinctifs et sont même demeurés plus ou moins à l'état sauvage. Celles de leurs tribus, au contraire, qui sont établies au Cambodge ont adopté la langue et en partie les coutumes de la population ambiante; mais, comme il arrive fréquemment dans ces sociétés, sous un régime de despotisme patriarcal qui ne regarde qu'à la fiscalité et, quand il n'y a pas eu conquête violente, se désintéresse de tout le reste, elles ne s'y sont pas fondues. Elles payent des redevances particulières et exercent certaines professions qui leur sont plus ou moins propres. Ainsi, au

(1) Il estime, en outre, à environ 800.000 le nombre des Khmers établis dans les provinces actuellement siamoises.

(2) M. Aymonier estime la population du Cambodge à 1.500.000 au maximum; celle de la basse Cochinchine à deux millions.

(3) Tous ces chiffres, bien entendu, sont simplement approximatifs, surtout pour le Cambodge, où il n'y a jamais eu de véritable dénombrement. Ils se rapportent, d'ailleurs, à l'époque où l'auteur a pris ses notes, et sont vieux, par conséquent, d'une vingtaine d'années, ce qui, dans notre pensée, n'entraîne pas une critique, comme on le verra plus loin.

(4) Outre les Européens d'établissemeut récent, il y a encore, au Cambodge, quelques familles d'origine portugaise, qui sont restées chrétiennes, mais, à cela près, ne se distinguent pas des indigènes.

nord et au sud du Grand Lac, les Samré, qui sont gardiens de temple, les Bar, qui recueillent la cardamome; au nord du Lac, les Koui, dont les frères sont nombreux au Laos, sont forgerons et fabricants de nattes.

En somme, le Cambodge, que les Chinois appelaient jadis Tchen-la le riche, est à présent un pays pauvre, pauvrement habité et, selon toute apparence, destiné à le rester longtemps. Il n'a pas d'industrie, pas une seule culture intensive et de grand rendement. De la basse Cochinchine, avec son admirable réseau d'arroyos navigables en toute saison pour des bâtiments à fort tonnage, dès que la largeur leur permet de passer, il dépendra de nous de faire une grande rizière et aussi d'y introduire quelques autres cultures tropicales d'un rapport plus riche. Mais au Cambodge, l'avenir prochain est moins brillant. Il faudra du temps et beaucoup d'efforts pour réclamer sur la brousse de vastes étendues maintenant dépeuplées et improductives, pour y créer à nouveau, ce qui sans doute existait autrefois, des réserves nécessaires à l'irrigation, pour réveiller enfin l'activité chez une population insoucieuse et habituée par des siècles de misère à vivre au jour le jour. Le pays était certainement plus peuplé et plus cultivé jadis; les grandes ruines, maintenant perdues dans le désert, en témoignent suffisamment et, à coup sûr, le peuple qui les a élevées, quelque part qu'y ait eue l'étranger, ne manquait ni des ressources d'un certain bien-être, ni de l'énergie nécessaire aux grandes entreprises. L'avenir montrera dans quelle mesure nous saurons refaire le Cambodge des Kambujas.

Non moins qu'aux données statistiques, M. Aymonier a accordé son attention aux mœurs et coutumes des Khmers, à la légis'ation civile et criminelle, dont il nous donne une excellente et substantielle analyse, à l'organisation sociale et politique, au mécanisme assez compliqué du gouvernement, aux divisions et aux procédés administratifs. La population khmère n'est pas divisée en castes. Mais elle renferme dans son sein un certain nombre de classes, dont une du moins, celle des Bakous, qui sont les descendants des anciens brahmanes, authentiques ou prétendus tels, du Cambodge, est bien quelque chose comme une caste : elle en a la permanence héréditaire et, dans une certaine mesure, mais bien faible, la sanction religieuse. Ce n'est pas là précisément ce que nous trouvons dans les inscriptions, qui nous parlent souvent des rois ordonnant les castes en stricte conformité avec les prescriptions de Manu. Il faudrait donc que les choses eussent grandement changé depuis, s'il n'était pas plus simple de voir dans ces assertions des lieux communs venus tout faits de l'Inde et qui sans doute, dans l'Inde même, étaient déjà des lieux communs plutôt que l'expression de la réalité.

En basse Cochinchine, les traits de cette organisation si caractéritique se sont effacés sous la domination deux fois séculaire des Annamites: la population a été renouvelée; les lieux mêmes ont changé de nom, et, du régime khmer, presque tout a disparu, jusqu'au souvenir des divisions territoriales. Mais l'ancien ordre des choses s'est conservé au Cambodge, même sous le protectorat français, qui, à part quelques imprudences, a été assez sage jusqu'ici po ur n'y pas toucher d'une main brutale. Et c'est là que M. Aymonier l'a pris sur le fait, quand l'établissement de ce protectorat était encore de date récente; c'est à cette époque même que se rapportent ses notes. Or, et bien qu'il n'ait rien négligé de ce qui s'est publié depuis, c'est d'après ces notes surtout, et avec cette date pour limite, que l'ouvrage a été rédigé. Inutile d'ajouter qu'il en résulte pour celui-ci une solide unité et une valeur documentaire toute spéciale. Nous avons là, en quelque sorte, l'inventaire du passé et du présent du Cambodge arrêté au moment de l'établissement du régime français. A ses autres mérites l'ouvrage joint ainsi celui d'être venu à son heure, ni trop tôt, ni trop tard.

A ce point de vue, je dois même exprimer un regret. M. Aymonier a peut-être trop dédaigné le détail aride ou un peu vulgaire, tout ce qui eût senti le Rapport administratif ou le Guide pratique du voyageur. Un exemple suffira, pris entre beaucoup d'autres. On ne lui reprochera pas de n'avoir pas décrit Saigon, qu'il n'a connu que comme ville française, bien des années après la prise de possession. Mais il a assisté pour ainsi dire à la transformation de Phnom Penh, une ville d'avenir, destinée sans doute à de rapides changements, et il ne la décrit guère davantage. On sait pourtant de quel prix sont pour les Hollandais, par exemple, les moindres

B. E. F. E.-O.

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documents sur le vieux Batavia; et les Anglais, que ne donneraient-ils pas pour un Bædeker du Calcutta de Job Charnock ?

De ce fait, il y a donc dans ce livre quelques lacunes, sensibles dès maintenant et qui le deviendront davantage par la suite. C'est qu'on se soucie moins en général de noter le présent, et que M. Aymonier en particulier, alors du moins, était avant tout préoccupé du passé. Le fort de l'ouvrage, ce en quoi il est complet autant qu'il pouvait l'être, est en effet la partie archéologique, le relevé des inscriptions et des monuments.

M. Aymonier rappelle lui-même dans sa préface l'histoire de la très jeune épigraphie cambodgienne, les campagnes qu'il a entreprises pour recueillir les matériaux, et, modestement, la part qui lui revient dans l'élaboration; comment, par de persévérants efforts, il est arrivé pour son compte à la conquête de l'ancien alphabet et de la notation numérique, et par le moyen de l'idiome moderne, à l'intelligence du vieux khmer. Mais il laisse à d'autres le soin de dire quelles difficultés il a trouvées devant lui, quand, débarqué là-bas tout jeune et sans aucune préparation spéciale, il entreprit avec ses seules ressources, sans aide ni conseil, de s'improviser philologue et archéologue et de se faire une méthode scientifique dans un milieu où cette sorte de produit ne se cultivait guère. C'était le temps où l'on traduisait du khmer qu'on prenait pour du thaï, du sanscrit déchiffré, on le croyait du moins, à rebours qu'on donnait pour du pâli, où l'on trouvait un sens à des expressions chiffrées en les lisant comme des caractères, où l'on construisait une histoire imaginaire en spéculant sur des monuments auxquels on prêtait une antiquité fabuleuse. M. Aymonier ne se fourvoya dans aucune de ces fondrières qui s'ouvraient de tous côtés devant l'autodidacte. Dès les premiers pas, on le voit, avec son petit bagage de bachelier et de Saint-Cyrien, marcher dans ces voies difficiles, lentement, mais sûrement. Et tel on le retrouve ici, après trente ans d'efforts, donnant beaucoup, mais rien que ce qu'il croit pouvoir garantir, parce qu'il l'a longuement éprouvé.

Personne, en effet, ne sait mieux que M. Aymonier ce qui manque encore à cette philologie khmère dont il a été le premier pionnier. Des nombreuses inscriptions qu'il passe en revue dans ce volume, toutes celles qui ont été relevées jusqu'ici dans le royaume actuel et dans la basse Cochinchine, il n'en est pas une seule qu'il prétende traduire in extenso. Pour la plupart, il est vrai, une pareille traduction ne serait à sa place que dans un Corpus spécial; car, de même que les inscriptions sanscrites donnent, pour peu d'histoire, beaucoup de rhétorique, ces documents khmers, à part les dates et les noms de rois ou de grands personnages, se réduisent le plus souvent à des listes fastidieuses d'objets de donation, de terres, d'esclaves, etc. Pour ceux-ci, un bref résumé ou la simple mention s'imposaient. Mais il en est d'autres qui présentent plus d'intérêt, comme l'inscription de la page 379, qui relate une décision du roi Suryavarman dans un procès en revendication de terres usurpées, ou celle encore de la page 384, où le roi Rajendravarman condamne des fonctionnaires de haut rang qui s'étaient rendus coupables du mênie méfait avec déplacement des pierres-bornes; l'un et l'autre document constituant, sur pierre, de véritables jayapātras ou « lettres de gain de cause » comme il s'en délivrait aussi dans l'Inde, nous le savons par les textes juridiques, sans qu'on en puisse citer jusqu'ici un seul exemple ancien. Or, pour celles-ci encore, M. Aymonier se borne à un résumé avec des traductions partielles, d'abord, sans doute, pour gagner de la place, mais aussi par scrupule louable de ne donner que du certain. Si l'on avait partout et toujours agi de même, nous n'aurions pas tant de documents soi-disant traduits et dont on ne sait que faire.

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De toutes ces inscriptions d'ailleurs, qu'il les analyse ou qu'il en mentionne seulement le contenu, M. Aymonier nous donne ce qu'elles peuvent contenir de substance historique : outre un grand nombre de dates, de noms de lieux, de noms de rois et de grands personnages, plusieurs faits importants, la plupart déjà annoncés dans ses précédentes publications, mais appuyés ici de preuves plus complètes. Je me contenterai de mentionner l'identification de Vyadhapura avec Angkorbaurei, la date très probable de l'avènement de Jayavarman III en

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